Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/519

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car de rougeur je n’en ai pas, fort bien le sais,
en mon visage ; car les diverses fumées
de ces métaux, que vous m’avez ouï nommer,
1100 ont consumé et détruit ma rougeur.
Or prenez garde à la malignité de ce chanoine !
« Monsieur (dit-il au prêtre), envoyez votre valet chercher
du vif-argent, que nous l’ayons bientôt ;
et qu’il en apporte deux ou trois onces ;
et quand il reviendra, vous verrez aussitôt
une chose étonnante que jamais encore n’avez vue ! »
— « Messire (dit le prêtre), ce sera fait, sur ma foi ! »
Il dit à son serviteur de lui chercher la chose,
lequel était tout prêt à son commandement ;
1110 il s’en alla et revint sans tarder
avec ce vif-argent, pour dire la vérité,
et porta les trois onces au chanoine,
et celui-ci les étendit bien comme il faut,
et pria le serviteur de lui apporter des charbons,
afin qu’il pût se mettre aussitôt à l’ouvrage.
Aussitôt les charbons lui furent apportés,
et notre chanoine tirant un creuset
de sa poitrine, le montra au prêtre
« Cet instrument, (lui dit-il), que tu vois,
1120 prends-le en ta main et toi-même mets-y
une once de ce vif-argent ; et commence ainsi,
au nom du Christ, à devenir un philosophe.
Il y en a bien peu à qui je voudrais offrir
de leur montrer autant de ma science.
Car ici vous allez voir par expérience
que je m’en vais mortifier[1] ce vif-argent,
tout de suite à vos yeux sans mentir,
et en faire d’aussi bel et bon argent
qu’il y en a dans ma bourse ou la vôtre,
1130 ou ailleurs, et le rendre malléable ;
sinon, tenez-moi pour faux et indigne
de paraître jamais en compagnie !
J’ai une poudre ici qui m’a coûté fort cher ;
elle fera tout réussir, étant la cause

  1. Mortifier, en langage d’alchimiste, voulait dire : changer la forme d’un corps mixte.