Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/534

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Alors notre hôte se mit à rire aux éclats, que c’était merveille,
et dit : « Je le vois bien, il est nécessaire,
partout où nous allons, d’emporter bonne boisson avec nous ;
car elle tournera la rancœur et le déplaisir
en bon accord et affection, et apaisera plus d’une injure.
Ô Bacchus, béni soit ton nom,
100 toi qui peux ainsi changer en jeu des choses sérieuses !
Honneur et grâces soient rendus à ta divinité !
Sur ce sujet, vous ne m’en ferez pas dire plus long.
Dis-nous ton conte, manciple, je te prie ! »
« Soit ! messire ; or (dit l’autre), écoutez ce que j’ai à dire ».


Ainsi finit le prologue du Manciple.



Conte du Manciple.


Ici commence le Conte du Manciple sur le Corbeau[1].


Quand Phébus demeurait ici-bas sur cette terre,
comme les vieux livres en font mention,
c’était le plus gaillard bachelier[2]
du monde entier, et aussi le meilleur archer.
Il tua Python le serpent, tandis que celui-ci
110 dormait étendu en plein soleil certain jour ;
et bien d’autres nobles exploits
accomplit-il avec son arc, comme on peut le lire dans les livres.
Il savait jouer de tout instrument de musique,
et chanter, que c’était une mélodie
d’entendre le son de sa voix claire.
Certes le roi de Thèbes, Amphion,
qui par son chant emmura cette ville,
ne sut jamais chanter moitié aussi bien que lui.
De plus c’était l’homme de plus belle mine
120 qui soit ou fut depuis le commencement du monde.
Quel besoin y a-t-il de décrire ses traits ?
car en ce monde nul être vivant n’a été si beau.
Il était avec cela confit en noblesse,

  1. Ce conte est emprunté à Ovide, Mét., II, 531-632.
  2. Bachelier, aspirant à la chevalerie.