Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/544

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Ôte la boucle et montre-nous ce que tu as dans ton sac ;
car vraiment m’est avis, à ta mine,
que tu dois bien savoir ourdir une grande histoire.
Dis-nous un conte, bien vite, palsambleu ! »
30 Notre curé lui répondit tout aussitôt :
« Tu n’auras pas de fable contée, pour ce qui est de moi ;
car Paul, écrivant à Timothée,
blâme ceux qui s’écartent de la vérité
et content des fables et autres sottises.
Pourquoi irais-je semer la balle de ma main,
quand je peux semer le froment, si cela me plaît ?
C’est pourquoi je dis que s’il vous plaît d’écouter
une moralité et une matière édifiante,
et puis si vous voulez me prêter l’oreille,
40 je vous donnerai volontiers, en toute révérence envers le Christ,
divertissement permis, de mon mieux.
Mais sachez-le bien, je suis homme du sud ;
je ne sais pas conter en répétant les lettres — rum, ram, ruf[1] ;
et, Dieu m’est témoin, je n’estime guère mieux la rime ;
et c’est pourquoi, s’il vous plait, je n’userai pas de périphrases.
Je vous dirai un plaisant conte en prose
pour terminer toute cette fête et pour en finir.
Et que Jésus, dans sa bonté, m’envoie la sagesse
de vous montrer la route, pendant notre voyage,
50 de ce parfait et glorieux pèlerinage
que l’on appelle la Jérusalem céleste !
Et, si vous le permettez, sans plus
je commencerai mon conte, sur lequel je vous prie
de me donner votre avis, je ne peux mieux dire.
Mais néanmoins, cette méditation,
je la soumets à toute correction
des clercs, car je ne suis pas textuel,
je ne prends que le sens, croyez-moi bien.
Aussi je fais déclaration
60 que j’accepterai toute correction. »
Là-dessus nous nous hâtâmes de donner notre assentiment,
car, nous semblait-il, c’était chose à faire

  1. Allusion aux poèmes allitéralifs du Nord. Il est curieux de noter que Chaucer recourt probablement ici à une locution française : Ça n’a ni rim, ni ram, c’est-à-dire ni rime ni raison.