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LES CONTES DE CANTERBURY.

le reste de ses jours ; qu’est-il besoin d’en dire plus ?
1030Mais en une tour, dans la souffrance et le malheur,
habitent ce Palamon et cet Arcite
à jamais, car nul or ne pourra les affranchir.

    Ainsi se passe année après année, et jour après jour,
jusqu’à ce qu’il arriva, par un matin de Mai,
qu’Émilie, plus belle à voir
que n’est le lis sur sa verte lige
et plus fraîche que mai aux fleurs nouvelles —
car avec la rose rivalisait son teint,
et je ne sais quelle couleur était des deux plus belle —
1040avant qu’il ne fit jour, comme c’était sa coutume,
était levée, et déjà tout habillée ;
car Mai ne veut pas de paresseux la nuit.
La saison aiguillonne chaque gentil cœur,
et fait que chacun s’éveille brusquement,
et dit « Lève-toi, et rends ton hommage ».
C’est ainsi qu’Émilie fut invitée à se souvenir
d’honorer Mai, et à se lever.
Elle avait mis une fraîche robe, pour tout dire ;
sa jaune chevelure était tressée en une natte,
1050qui lui tombait sur le dos, longue, je crois bien, d’une aune.
Et, dans le jardin, au lever du soleil,
elle se promène çà et là, et, selon son caprice,
cueille des fleurs, les unes rouges, les autres blanches,
pour en faire à son front une gracieuse couronne ;
et chantait comme un ange du ciel.
La grande tour, si épaisse et si forte,
qui de ce château était le donjon principal,
(et où étaient emprisonnés les chevaliers,
dont je vous ai parlé, et vous parlerai encore)
1060s’élevait tout près du mur de ce jardin,
où Émilie se livrait à ses ébats.
Brillant était le soleil, et claire la matinée,
et Palamon, le triste prisonnier,
selon sa coutume, et avec la permission de son geôlier,
était levé, et se promenait dans une chambre haute,
d’où il voyait toute la noble ville,
et aussi le jardin, plein de verts branchages,