Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/85

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et sais combien grièvement elle peut navrer,
en homme qui souvent a été pris en ses lacs,
je vous pardonne entièrement ce méchef,
à la requête de la reine ici agenouillée,
1820et d’Émilie aussi, ma sœur chérie.
Et allez tous les deux me jurer
que jamais plus vous ne nuirez à mon pays,
ni ne me ferez la guerre de nuit ou de jour
mais me serez amis en tout ce que vous pourrez ;
je vous pardonne ce méchef, tout et parties. »
Et eux de lui jurer sa requête bellement
en implorant sa seigneurie et sa merci,
et lui leur accorde leur grâce et alors dit :

« Pour parler de lignée royale et de richesse,
1830votre dame fût-elle reine ou princesse,
chacun de vous est digne, sans aucun doute,
de l’épouser quand en viendra le temps ; mais néanmoins
je parle pour ma sœur Émilie,
pour l’amour de laquelle vous avez lutte et jalousie ;
tous savez qu’elle ne peut vous épouser tous deux
à la fois, dussiez-vous combattre a tout jamais ;
qu’un de vous, qu’il en soit heureux ou non,
il lui faudra s’en aller siffler dans une feuille de lierre[1] ;
c’est dire qu’elle ne peut avoir les deux,
1840si fort que vous soyez jaloux et courroucés.
Et pour ce vais-je vous mettre en position
de suivre l’un et l’autre la destinée
qui lui est réservée ; écoutez en quelle guise ;
or, entendez votre arrêt que je vais vous dire :
Ma volonté est que, pour conclusion nette,
sans aucune sorte de réplique,
(s’il vous plaît, prenez cela au mieux),
que chacun de vous s’en aille où il lui plaise
libre, sans rançon et sans risque ;
1850et de ce jour en cinquante semaines, ni plus ni moins,
chacun de vous amènera cent chevaliers,
armés pour la lice comme il faut de tout point,

  1. C’est-à-dire se consoler de son mieux, avec quelque jeu puéril, de sa félicité manquée.