Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/99

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2320et leurs soins, leur tourment et leur feu,
s’éteignent ou se tournent vers un autre objet.
Et si tu ne veux pas me faire grâce,
ou si ma destinée est ainsi formée
que je doive forcément avoir l’un des deux,
envoie-moi celui qui me désire le plus.
Regarde, déesse de pure chasteté,
les larmes amères qui sur mes joues tombent.
Puisque tu es pucelle et gardienne de nous toutes,
garde mon pucelage et protège-le bien,
2330et tant que je vivrai pucelle, je veux te servir. »

Les feux brûlaient clairs sur l’autel,
pendant qu’Émilie était ainsi en prière ;
mais soudain elle vit un spectacle étrange,
car tout à coup l’un des feux s’éteignit,
puis se ralluma, et aussitôt après
l’autre feu s’éteignit et disparut tout à fait ;
et comme il s’éteignait il fit un sifflement
comme font les branches mouillées quand elles brûlent,
et au bout du tison coulèrent aussitôt
2340comme des gouttes sanglantes et en grand nombre.
De quoi fut Émilie si fort épouvantée
qu’elle était presque folle et se mit à crier,
car elle ne savait pas ce que cela signifiait.
Mais c’est seulement par peur qu’elle a ainsi crié
et pleuré, que c’était pitié de l’ouïr.
Et alors Diane apparut
l’arc en main, tout comme une chasseresse,
et dit : « Ma fille, calme ton angoisse.
Parmi les dieux là-haut il est arrêté,
2350et par des mots éternels écrit et confirmé,
que tu seras mariée à l’un de ceux
qui ont à cause de toi tant de chagrins et de peines ;
mais auquel des deux je ne puis pas dire.
Adieu, car je ne puis tarder plus longtemps.
Les feux qui sur mon autel brûlent
te déclareront, avant que tu partes d’ici
la destinée de ton amour en cette circonstance. »