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tife de l’assemblée de Sens. L’abbé de Clairvaux, soit zèle, soit prévention contre Abailard, le peignit avec des couleurs peu favorables. Il écrivit au pape « qu’Abailard et Arnauld de Bresse avaient fait un complot secret contre Jésus-Christ et contre son Église. Il dit qu’Abailard est un dragon infernal qui persécute l’Église d’une manière d’autant plus dangereuse qu’elle est plus cachée et plus secrète : il en veut dit-il, à l’innocence des ames… Arius, Pélage et Nestorius ne sont pas si dangereux, puisqu’il réunit tous ces monstres en sa personne, comme sa conduite et ses livres le font connaître : « Il est le persécuteur de la Foi, le précurseur de l’Antechrist. » Pluquet prétend que les accusations de St. Bernard étaient destituées non-seulement de fondement, mais même d’apparence. Quoi qu’il en soit, Innocent II ratifia tout ce que le concile de Sens avait fait. Il ordonna que les livres d’Abailard fussent brûlés, et que leur auteur fût enfermé, avec défense d’enseigner. Abailard publia son apologie. Les théologiens disent qu’en bien des choses il n’avait péché que dans les expressions et que ses intentions pouvaient être bonnes. Mais ayant plus de sagacité que de clarté dans l’esprit, il se servit d’expressions qui fournirent à ses ennemis des sujets de plainte. Cependant, comme il se croyait innocent, il voulut poursuivre son appel au saint siège, et partit pour Rome. En passant à Cluni, Pierre-le-Vénérable, abbé de ce monastère, homme éclairé et compatissant, le retint dans sa solitude et entreprit sa conversion. Il en vint à bout par sa douceur et sa piété ; il peignit son repentir au pape, et ob-

tint son pardon. Il travailla en même temps à le réconcilier avec Saint Bernard, et y réussit. Il revit Saint Bernard, et les deux hommes les plus célèbres de leur siècle se jurèrent une amitié qui dura jusqu’à leur mort. Quoiqu’Abailard fût entré dans le cloître plutôt par dépit que par piété, ses lettres à Héloïse semblent attester qu’il ne tarda pas prendre l’esprit de cet état. Cette tendre amante était alors au Paraclet. C’était un oratoire que son amant avait bâti près de Nogent-sur-Seine, en 1122, à l’honneur du Saint-Esprit. Il le lui donna, et la reçut lui-même avec les religieuses d’Argenteuil, dans cette retraite, où les deux malheureux époux se revirent pour la première fois, après onze ans de séparation. Héloïse y vivait saintement avec plusieurs autres religieuses. Abailard, marchant sur les traces de son épouse, trouva dans le monastère de Cluni la paix de l’ame que les plaisirs et la gloire n’avaient pu lui procurer. Devenu très-infirme, il fut envoyé au prieuré de Saint-Marcel, près de Châlons-sur-Saône, et y mourut le 21 avril 1142 ; à 65 ans, Héloïse demanda les cendres de son époux, et les obtint. Abailard les lui avait promises de son vivant, afin qu’Héloïse et ses religieuses se crussent plus obligées, en recevant ses dépouilles

mortelles, à prier pour le repos de son ame. « Alors (disait-il à Héloïse dans une de ses lettres) vous me verrez, non pour répandre des larmes ; il n’en sera plus temps. Versez-en aujourd’hui pour éteindre des feux criminels. Vous me verrez alors pour fortifier votre piété par l’horreur d’un cadavre ; et ma mort, plus éloquente que moi, vous dira ce qu’on aime quand on aime un homme. » Hé-