Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/153

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douter de ses forces, de son jugement et de son bonheur. Le Sud remporta d’éclatantes victoires, la rébellion se croyait sûre de son triomphe, l’Europe abusée se persuada que les États-Unis avaient vécu. Cependant, à mesure que le danger croissait, Abraham Lincoln sentait son courage s’affermir, et il voyait plus clair dans son esprit comme dans celui des autres. Il n’avait pas ces illuminations soudaines du génie qui abrègent les réflexions ; il était condamné à réfléchir beaucoup et longtemps avant de savoir nettement ce qu’il avait à faire ; mais, une fois qu’il le savait, la foudre fût tombée devant lui sans le détourner de son chemin. Il avait une âme droite comme un jonc, la sainte opiniâtreté, l’entêtement du bien, une vertu pleine de gravité, de retenue, de modestie et de silence. Il ne parlait guère, mais il faisait tout ce qu’il disait, se souciant peu de ce que l’univers pouvait penser de lui ; sa grande affaire était de plaire à sa conscience et que Lincoln fût content de Lincoln. Que lui importait cette fumée qu’on appelle la gloire ? Il avait un devoir sacré à remplir, il s’acquittait de sa redoutable besogne avec une parfaite simplicité, et il sauvait une république sans faire plus de bruit ni de gestes qu’un bûcheron liant son fagot ou qu’un