Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/156

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

personne ; mais je me permets d’affirmer que le jour où l’humanité, grâce au progrès de la raison publique, de l’économie politique, du confort, des arts industriels, des machines à vapeur, de la philosophie, de la philanthropie et de tout ce qu’il vous plaira, ne produira plus des Charlotte Corday et des Booth, elle vaudra encore un peu moins qu’elle ne vaut. »

Après avoir achevé sa profession de principes, M. Bloomfield se mit à manger tranquillement une aile de dindonneau truffé, sans s’occuper autrement du prodigieux scandale que m’avait causé sa harangue. Marat et Lincoln, Booth et Charlotte Corday, ce rapprochement me paraissait odieux autant que ridicule ; j’en étais comme suffoqué. M. Severn l’était encore plus que moi. Il prit à son tour la parole et dit :

« Je désire n’être désagréable à personne ; mais vous m’avez demandé, monsieur, si j’avais connu Booth. Oui, monsieur, j’ai eu cet avantage, qui m’est commun avec un nombre considérable de mes compatriotes. A la vérité, je n’ai vu qu’une fois ce triste personnage, sans éprouver la moindre envie de le revoir ; il m’en avait coûté six dollars, que je regrettai d’avoir si sottement employés. C’était dans une petite ville de l’Ouest, où m’avaient