Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/159

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défier des hommes à demi-talents et en général de toute la race des cabotins, lesquels, à vrai dire, ne sont pas tous au théâtre. Je tiens beaucoup à ne désobliger personne ; mais je me permets d’avancer, d’affirmer, de soutenir que l’assassin du président Lincoln était un comédien de bas étage, qui, comme vous dites, vous autres, cherchait son clou, et qui malheureusement a fini par le trouver. »

En dépit de son flegme, M. Bloomfield était rouge d’indignation, et il ne s’occupait plus de son assiette ni du dindonneau. Les yeux écarquillés, sa fourchette en l’air, il méditait une réplique foudroyante. Je craignis que la conversation ne tournât à l’aigre ; une discussion parlementaire et courtoise favorise la digestion, une dispute la trouble. Je m’empressai de couper la parole à M. Bloomfield, et je dis à mes deux convives :

« Selon moi, messieurs, vous avez tous les deux raison, et tous les deux vous avez tort. Je vous accorde, mon cher Bloomfield, que John Wilkes Booth était un sudiste convaincu, fanatique et même enragé ; mais vous me persuaderez difficilement que cet honorable gentleman fût une Charlotte Corday et que le vertueux Lincoln fût un Marat. Quant à vous, mon cher Severn, qui ne voyez