Page:Chesterton - La Clairvoyance du père Brown.djvu/334

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discours politiques et sociaux étaient des cataractes d’anecdotes et de joyeuses plaisanteries. Il était, au sens littéral du mot, resplendissant de santé ; sa philosophie était exclusivement optimiste ; et lorsqu’il traitait la question de l’alcoolisme (son sujet favori), il le faisait avec cette gaieté inépuisable et presque monotone qui caractérise si souvent le riche abstinent.

L’histoire de sa conversion était familière aux congrégations et aux auditoires les plus puritains : Comment, étant enfant il fut détourné de la théologie écossaise par le whisky écossais, et comment il s’affranchit de l’une et de l’autre pour devenir (selon sa modeste expression) ce qu’il était. Lorsque l’on voyait apparaître, aux innombrables banquets et congrès, qu’il honorait de sa présence, sa longue barbe blanche, sa figure poupine et ses lunettes étincelantes, on avait quelque peine à croire qu’il eût jamais pu être assez morbide pour devenir ivrogne ou calviniste. On sentait que c’était l’homme le plus sérieusement gai qui fût au monde.

Il habitait, dans la banlieue d’Hampstead, une maison haute et étroite, une tour moderne et banale. Le plus étroit de ses côtés dominait le talus escarpé et verdoyant d’une voie ferrée, et était ébranlé par le passage des trains. Comme il l’expliquait lui-même joyeusement, Sir Aaron n’avait pas de nerfs. Mais, si le train avait souvent fait trembler la maison, ce matin-là, les rôles se trouvèrent renversés, et ce fut la maison qui fit trembler le train.