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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

l’intermédiaire d’un interprète arménien, elles entamèrent une conversation très animée, où la princesse déploya infiniment d’esprit et la curiosité la plus intelligente ; puis elle donna l’ordre de commencer les danses. Une des dames d’honneur se leva alors et fit quelques pas en tournant lentement sur elle-même, tandis qu’une autre, restée assise, tirait des sons mélancoliques d’une balalaïka (espèce de guitare) ; les mouvements et les attitudes de sa compagne étaient du reste beaucoup plus une pantomime qu’une danse. Plusieurs fois la jeune fille étendit les bras et se mit à genoux comme pour invoquer un être invisible. Cette danse animée avait un caractère de tristesse profonde, dont Mme de Hell ne put démêler la signification.

La représentation dura assez longtemps pour lui permettre d’examiner la princesse et de reconnaître que sa réputation de beauté était méritée. Sa taille était imposante, et on en devinait l’élégance sous ses nombreux vêtements ; une bouche fine, laissant apercevoir des dents de perle, une physionomie pleine de douceur, un teint un peu brun, mais d’une délicatesse exquise, l’auraient fait regarder, même en France, comme une très belle personne, si la coupe du visage et l’ensemble des traits, les yeux obliques, les pommettes saillantes, n’avaient pas rappelé un peu trop la race kalmouke. Sous sa robe, d’une précieuse étoffe persane toute galonnée d’argent, elle portait une tunique de soie ouverte par devant et descendant jusqu’aux genoux. Le corsage montant, tout à fait plat, étincelait d’une broderie d’argent et de perles fines. Autour du cou elle avait un fichu de batiste blanche, ressemblant assez aux cols de chemise d’hommes d’il y a quarante ans, et attaché par un bouton de diamant. Ses magnifiques cheveux noirs retombaient sur sa poitrine en deux tresses épaisses ; un bonnet jaune, bordé de belle fourrure et rappelant la forme des bonnets carrés de nos juges, était posé coquettement un peu en arrière de sa tête. Mais les deux articles de son costume qui surprirent le plus Mme de Hell furent un mouchoir de batiste brodé et une paire de mitaines noires, preuve évidente que les produits de l’industrie française se glissent jusque dans la toilette d’une dame kalmouke. Parmi les bijoux dont la princesse était chargée, il ne faut pas oublier une lourde chaîne d’or, tournée deux ou trois fois dans ses belles tresses, tombant de là sur sa poitrine et rattachée aux anneaux d’or qui ornaient ses oreilles. Les dames d’honneur avaient un costume analogue, moins opulent : « elles ne s’étaient pas émancipées jusqu’à porter des mitaines. »