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Page:Chevalier - Les voyageuses au XIXe siècle, 1889.pdf/42

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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

Un superbe dîner, mi-russe mi-français, fut présidé le soir par les deux princes Tumène ; les vins de France, surtout le Champagne, y furent prodigués ; la princesse manifesta beaucoup de répugnance à prendre place à table : elle ne le fit que sur l’autorisation expresse de son beau-frère, auquel elle témoignait un profond respect. Après le repas, le prince permit à ses hôtes de visiter la mystérieuse pagode, remplie d’idoles monstrueuses et d’animaux fabuleux. En y entrant, ils furent accueillis par un épouvantable charivari. « Prêtres et musiciens, tous agenouillés, et ressemblant par leurs traits et leurs poses à des magots chinois, avaient des costumes de couleurs éclatantes, chargés de broderies d’or et d’argent, se composant d’une large tunique à manches ouvertes, et d’une espèce de camail à dents de loup. Quant à leur coiffure, elle avait assez d’analogie avec celle des anciens Péruviens, à cela près que les plumes étaient remplacées par des plaques d’argent couvertes de peintures religieuses ; au centre de cette couronne se dressait en outre une espèce de houppe de soie noire, reliée de distance en distance, et partagée enfin en différentes tresses qui retombaient sur les épaules. Ce qui fit surtout l’objet de notre étonnement, ce furent les instruments de musique. À côté d’énormes timbales et du tam-tam chinois on voyait de grosses coquilles marines faisant fonction de cornets, et deux immenses tubes de cuivre de trois à quatre mètres de long, étayés par des supports. S’il y a complète absence de mesure, d’accord et de méthode dans la musique religieuse des Kalmouks, en revanche chacun fait le plus de bruit possible à sa manière et suivant la force de ses poumons. Le concert commença par un carillon de petites cloches d’un timbre argentin, puis vibrèrent bientôt les tam-tam et les cymbales, auxquels se mêla le glapissement aigu des coquilles, le tout couronné par les mugissements de deux grandes trompes, qui firent trembler toutes les voûtes du temple. Cette fois nous étions à des milliers de lieues de l’Europe, au cœur de l’Asie. »

Ce fut sans doute par amour des contrastes que, pour terminer la soirée, Mme de Hell organisa, avec les invités russes du prince, un bal improvisé ; on découvrit un violon, une guitare et un flageolet, et la gaieté générale gagna même la princesse et sa fille, qui prirent part au galop avec un extrême plaisir. Cette journée faisait époque dans leur vie autant que dans celle de la Parisienne qui était venue les visiter.

Le portrait que Mme de Hell fait des Kalmouks est, somme toute, très