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DANS L’INDE.

couvre le navire et cache la mer aussi bien que le ciel, les yeux sont enflammés par l’excès de la lumière.

Avez-vous lu l’Ancient Mariner, le fantastique poème de Coleridge ? Cette navigation ressemble à la sienne. Même engourdissement, même torpeur étrange que l’on ne parvient pas à secouer. Pas un souffle ; notre vitesse annule celle du vent, qui vient de l’arrière ; l’air de feu pèse, immobile, et l’on a l’illusion que le bateau n’avance plus. Cette mer ne paraît pas naturelle ; on la croirait ensorcelée, frappée d’une malédiction ; elle n’a pas la fluidité de l’eau. Quelquefois, on l’aperçoit à travers une fente de la toile qui nous protège contre son intolérable éclat. C’est une nappe de verre en fusion, inerte, épaisse, pesante : rien de lugubre comme son flamboiement monotone sous le soleil. Au loin, elle fume : cela fait une moiteur blanchâtre qui tremble, une brume vacillante et vague où l’eau s’enfonce et, à quelques kilomètres, disparaît… Là-bas, derrière l’horizon, on devine de vastes déserts enflammés, des solitudes terribles où rien ne vit.

La nuit, renaît la sensation de fuite et de glissement vers un monde inconnu. Les constellations quittent leur place familière. Tous les soirs, elles ont avancé de quelques degrés vers le nord. La Grande Ourse plonge à l’horizon septentrional.