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Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/178

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demoiselle mérite beaucoup plus de ménagements qu’une femme, comme ayant plus à perdre. Il trouve, surtout, que rien ne peut justifier un homme de mettre une fille dans la nécessité de l’épouser ou de vivre déshonorée, quand la fille est infiniment plus riche que l’homme, comme dans le cas où il se trouve. La sécurité de la mère, la candeur de la fille, tout l’intimide & l’arrête. L’embarras ne serait point de combattre ses raisonnements, quelque vrais qu’ils soient. Avec un peu d’adresse & aidé par la passion, on les aurait bientôt détruits ; d’autant qu’ils prêtent au ridicule, & qu’on aurait pour soi l’autorité de l’usage. Mais ce qui empêche qu’il n’y ait de prise sur lui, c’est qu’il se trouve heureux comme il est. En effet, si les premières amours paraissent, en général, plus honnêtes, & comme on dit, plus pures ; si elles sont au moins plus lents dans leur marche, ce n’est pas, comme on le pense, délicatesse ou timidité ; c’est que le cœur étonné par un sentiment inconnu, s’arrête, pour ainsi dire, à chaque pas, pour jouir du charme qu’il éprouve, & que ce charme est si puissant sur un cœur neuf, qu’il l’occupe au point de lui faire oublier tout autre plaisir. Cela est si vrai, qu’un libertin amoureux, si un libertin peut l’être, devient de ce moment même moins pressé de jouir ; & qu’enfin, entre la conduite de Danceny avec la petite Volanges, & la mienne avec la prude madame de Tourvel, il n’y a que la différence du plus au moins.

Il aurait fallu, pour échauffer notre jeune homme, plus d’obstacles qu’il n’en a rencontrés ; surtout qu’il