Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/227

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triple aventure dont il est le héros. Vous m’en parlez comme si je ne connaissais autre chose, & je n’en sais pas le premier mot. Apparemment elle se sera passée pendant mon voyage à Genève, & votre jalousie vous aura empêché de me l’écrire. Réparez cette faute au plus tôt songez que rien de ce qui l’intéresse ne m’est étranger. Il me semble bien qu’on en parlait encore à mon retour : mais j’étais occupée d’autre chose, & j’écoute rarement en ce genre tout ce qui n’est pas du jour ou de la veille.

Quand ce que je vous demande vous contrarierait un peu, n’est-ce pas le moindre prix que vous deviez aux soins que je me suis donnés pour vous ? ne sont-ce pas eux qui vous ont rapproché de votre Présidente, quand vos sottises vous en avaient éloigné ? n’est-ce pas encore moi qui ai remis entre vos mains de quoi vous venger du zèle amer de madame de Volanges ? Vous vous êtes plaint si souvent du temps que vous perdiez à aller chercher vos aventures ! A présent vous les avez sous la main. L’amour, la haine, vous n’avez qu’à choisir : tout couche sous le même toit ; & vous pouvez, doublant votre existence, caresser d’une main & frapper de l’autre.

C’est même encore à moi puisque c’est à votre voyage, que vous devez l’aventure de la vicomtesse. J’en suis assez contente : mais, comme vous dites, il faut qu’on en parle ; car si l’occasion a pu vous engager, comme je le conçois, à préférer pour le moment le mystère à l’éclat, il faut convenir pourtant que cette femme ne méritait pas un procédé si honnête.