Aller au contenu

Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
27
DANGEREUSES.

son panier de quatre aunes sur la tête de quelqu’un, en rougissant à chaque révérence. Qui vous eût dit alors, vous désirerez cette femme ? Allons, vicomte, rougissez vous-même & revenez à vous. Je vous promets le secret.

Et puis, voyez donc les désagréments qui vous attendent ! quel rival avez-vous à combattre ? Un mari ! Ne vous sentez-vous pas humilié à ce seul mot ? Quelle honte si vous échouez ! & même combien peu de gloire dans le succès ! Je dis plus, n’en espérez aucun plaisir. En est-il avec les prudes ? j’entends celles de bonne foi. Réservées au sein même du plaisir, elles ne vous offrent que des demi-jouissances. Cet entier abandon de soi-même, ce délire de la volupté où le plaisir s’épure par son excès, ces biens de l’amour ne sont pas connus d’elles. Je vous le prédis : dans la plus heureuse supposition, votre présidente croira avoir tout fait pour vous en vous traitant comme son mari, et dans le tête-à-tête conjugal le plus tendre, on reste toujours deux. Ici c’est bien pis encore : votre prude est dévote, & de cette dévotion de bonne femme qui condamne à une éternelle enfance. Peut-être surmonterez-vous cet obstacle, mais ne vous flattez pas de le détruire : vainqueur de l’amour de Dieu, vous ne le serez pas de la peur du diable ; et quand, tenant votre maîtresse dans vos bras, vous sentirez palpiter son cœur, ce sera de crainte et non d’amour. Peut-être, si vous eussiez connu cette femme plus tôt, en eussiez-vous pu faire quelque chose ; mais cela a vingt-deux ans, et il y en a près de deux qu’elle est mariée.