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Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/67

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DANGEREUSES.

je ne dois pas répondre. Tu en parles bien à ton aise ; &, d’ailleurs, tu ne sais pas au juste ce qui en est ; tu n’es pas là pour voir. Je suis sûre que si tu étais à ma place, tu ferais comme moi. Sûrement, en général, on ne doit pas répondre, & tu as bien vu, par ma lettre d’hier, que je ne le voulais pas non plus : mais c’est que je ne crois pas que personne se soit jamais trouvé dans le cas où je suis.

Et encore être obligée de me décider toute seule ! Madame de Merteuil, que je comptais voir hier au soir, n’est pas venue. Tout s’arrange contre moi : c’est elle qui est cause que je le connais ! C’est presque toujours avec elle que je l’ai vu, que je lui ai parlé. Ce n’est pas que je lui en veuille du mal ; mais elle me laisse là au moment de l’embarras. Oh ! je suis bien à plaindre !

Figure-toi qu’il est venu hier comme à l’ordinaire. J’étais si troublée, que je n’osais le regarder. Il ne pouvait pas me parler, parce que maman était là. Je me doutais bien qu’il serait fâché, quand il verrait que je ne lui avais pas écrit. Je ne savais quelle contenance faire. Un instant après il me demanda si je voulais qu’il allât chercher ma harpe. Le cœur me battait si fort, que ce fut tout ce que je pus faire que de répondre qu’oui. Quand il revint, c’était bien pis. Je ne le regardai qu’un petit moment. Il ne me regardait pas, lui ; mais il avait un air, qu’on aurait dit qu’il était malade. Ça me faisait bien de la peine. Il se mit à accorder ma harpe, & après, en me l’apportant, il me