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Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/76

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LES LIAISONS

Je fais venir le collecteur, &, cédant à ma généreuse compassion, je paie noblement cinquante-six livres, pour lesquelles on réduisait cinq personnes à la paille et au désespoir. Après cette action si simple, vous n’imaginez pas quel chœur de bénédictions retentit autour de moi de la part des assistants ! Quelles larmes de reconnaissance coulaient des yeux du vieux chef de cette famille, & embellissaient cette figure de patriarche, qu’un moment auparavant l’empreinte farouche du désespoir rendait vraiment hideuse ! J’examinais ce spectacle, lorsqu’un autre paysan, plus jeune, conduisant par la main une femme & deux enfants, & s’avançant vers moi à pas précipités, leur dit : « Tombons tous aux pieds de cette image de Dieu » ; & dans le même instant j’ai été entouré de cette famille prosternée à mes genoux. J’avouerai ma faiblesse : mes yeux se sont mouillés de larmes, & j’ai senti en moi un mouvement involontaire, mais délicieux. J’ai été étonné du plaisir qu’on éprouve en faisant le bien, & je serais tenté de croire que ce que nous appelons les gens vertueux n’ont pas tant de mérite qu’on se plaît à nous dire.

Quoi qu’il en soit, j’ai trouvé juste de payer à ces pauvres gens le plaisir qu’ils venaient de me faire. J’avais pris dix louis sur moi, je les leur ai donnés. Ici ont recommencé les remerciements, mais ils n’avaient plus ce même degré de pathétique ; le nécessaire avait produit le grand, le véritable effet ; le reste