Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appelé à mon secours cette même idée de mon bonheur, j’en ressentis bientôt les favorables effets : « Vous avez raison, me dit la tendre personne ; je ne puis plus supporter mon existence, qu’autant qu’elle servira à vous rendre heureux. Je m’y consacre tout entière : de ce moment je me donne à vous, & vous n’éprouverez de ma part ni refus, ni regrets. » Ce fut avec cette candeur naïve & sublime, qu’elle me livra sa personne & ses charmes & qu’elle augmenta mon bonheur en le partageant. L’ivresse fut complète & réciproque ; et, pour la première fois, la mienne survécut au plaisir. Je ne sortis de ses bras que pour tomber à ses genoux, pour lui jurer un amour éternel ; et, il faut tout avouer, je pensais ce que je disais. Enfin, même après nous être séparés, son idée ne me quittait point, & j’ai eu besoin de me travailler pour m’en distraire.

Ah ! pourquoi n’êtes-vous pas ici, pour balancer au moins le mérite de l’action par celui de la récompense ? Mais je ne perdrai rien pour attendre, n’est-il pas vrai ? & j’espère pouvoir regarder comme convenu entre nous, l’heureux arrangement que je vous ai proposé dans ma dernière lettre. Vous voyez que je m’exécute, & que, comme je vous l’ai promis, mes affaires seront assez avancées pour que je puisse vous donner une partie de mon temps. Dépêchez-vous donc de renvoyer votre pesant Belleroche, & laissez-là le doucereux Danceny, pour ne vous occuper que de moi. Mais que faites-vous donc à cette campagne, que vous ne me répondez seulement pas ? Savez-vous que je vous gronderais volontiers ? Mais le bonheur porte à l’indulgence.