Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/176

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le dites, il faut les fuir, ils sont haïssables ; mais qu’alors Valmont est loin de leur ressembler ! S’il a comme eux cette violence de passion, que vous nommez emportement, combien n’est-elle pas surpassée en lui par l’excès de sa délicatesse ! O mon amie ! vous me parlez de partager mes peines, jouissez donc de mon bonheur ; je le dois à l’amour, & de combien encore l’objet en augmente le prix ! Vous aimez votre neveu, dites-vous, peut-être avec faiblesse ? Ah ! si vous le connaissiez comme moi ! je l’aime avec idolâtrie, & bien moins encore qu’il ne le mérite. Il a pu sans doute être entraîné dans quelques erreurs, il en convient lui-même ; mais qui jamais connut comme lui le véritable amour ? Que puis-je vous dire de plus ? il le ressent tel qu’il l’inspire.

Vous allez croire que c’est là une de ces idées chimériques, dont l’amour ne manque jamais d’abuser notre imagination ; mais dans ce cas, pourquoi serait-il devenu plus tendre, plus empressé, depuis qu’il n’a plus rien à obtenir ? Je l’avouerai, je lui trouvais auparavant un air de réflexion, de réserve, qui l’abandonnait rarement, & qui souvent me ramenait, malgré moi, aux fausses & cruelles impressions qu’on m’avait données de lui. Mais depuis qu’il peut se livrer sans contrainte aux mouvements de son cœur, il semble deviner tous les désirs du mien. Qui sait si nous n’étions pas nés l’un pour l’autre ? si ce bonheur ne m’était pas réservé, d’être nécessaire au sien ? Ah ! si c’est une illusion, que je meure donc avant qu’elle finisse. Mais non ; je veux vivre pour le chérir, pour