Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/96

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faire qu’au hasard : aussi, depuis huit jours, je repasse inutilement tous les moyens connus, tous ceux des romans & de mes mémoires secrets ; je n’en trouve aucun qui convienne, ni aux circonstances de l’aventure, ni au caractère de l’héroïne. Le difficile ne serait pas de m’introduire chez elle, même la nuit, même encore de l’endormir, & d’en faire une nouvelle Clarisse : mais après plus de deux mois de soins & de peines, recourir à des moyens qui me soient étrangers ! me traîner servilement sur la trace des autres, & triompher sans gloire !… Non, elle n’aura pas les plaisirs du vice & les honneurs de la vertu [1]. Ce n’est pas assez pour moi de la posséder, je veux qu’elle se livre. Or, il faut pour cela non seulement pénétrer jusqu’à elle, mais y arriver de son aveu ; la trouver seule & dans l’intention de m’écouter ; surtout, lui fermer les yeux sur le danger, car si elle le voit, elle saura le surmonter ou mourir. Mais mieux je sais ce qu’il faut faire, & plus j’en trouve l’exécution difficile, & dussiez-vous encore vous moquer de moi, je vous avouerai que mon embarras redouble à mesure que je m’en occupe davantage.

La tête m’en tournerait, je crois, sans les heureuses distractions que me donne notre commune pupille ; c’est à elle que je dois d’avoir encore à faire autre chose que des élégies.

Croiriez-vous que cette petite fille était tellement effarouchée, qu’il s’est passé trois grands jours avant que votre lettre ait produit tout son effet ? Voilà

  1. Nouvelle Héloïse.