Page:Chodzko - Légendes slaves du moyen âge (1169–1237), 1858.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la tête, et regardent le vaïvode qui, d’une voix forte et accentuée, s’écrie : « Enfant, au cœur d’une cruauté inouïe ! Prince, pourquoi nous précipitez-vous dans l’abîme de perdition et de honte à l’égard de notre souverain votre père ? Comment pouvez-vous mépriser une tendresse et une sollicitude semblables à celles que vous témoignent vos parents, le tzar et la tzarine, qui vous chérissent comme leur fils unique, plus que la prunelle de leurs yeux, et vous préfèrent à la couronne impériale et même à leur vie ! Vous, l’espoir et la joie d’un peuple tout entier qui attend votre règne, comment avez-vous pu, séduit par un vil moine, ouvrir votre cœur de prince à ces billevesées de couvent, que l’on vous a traîtreusement insinuées, et que vous avez préférées à l’amour paternel ? Ce bonheur imaginaire, que procure la solitude, peut-il vous être plus cher que le bien-être de millions d’hommes qui espèrent en vous l’héritier de leur tzar et leur futur souverain ? Ne savez-vous donc pas, Kniaze sans pitié, qu’à la réception de la nouvelle de votre déraisonnable erreur, le cœur de vos parents se brisera de chagrin et la joie de vos sujets sera changée en tristesse et en stupéfaction ? En présence de toutes ces considérations, comment pouvez-vous jouir de l’accomplissement de vos rêves, sans ressentir à tout moment les angoisses d’une âme bourrelée par de cruels remords ? Ne crains-tu donc pas que ton père, outragé d’une manière si éhontée, ne vienne ici venger l’insulte, et t’arracher de cette colonne après avoir écrasé tes suborneurs sous le poids de la toute-puissante main de son peuple, qui brûle du désir de se venger ? Ah ! que ne puis-je voir ici mon souverain, et sur un geste de lui, mon bras saurait bien venger le grand tzar de la sordide avidité de vos intrigants du monastère. »

Le tzarévitch frissonna de peur à la vue de l’extrême irritation de tous les guerriers, et redoutant la probabilité d’une nouvelle attaque de leur part, il essaya de les calmer par des paroles affectueuses. Il leur dit, entre autres : « Ô mes frères et amis ! je vous conjure de ne pas vous affliger sur mon sort. Remercions plutôt Dieu de la faveur qu’il vient de m’octroyer. Il m’a sauvé à deux reprises, d’abord en me permettant d’accomplir mon