Page:Choix de discours de réception à l'Académie françoise, tome I, 1808.djvu/429

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sujets de dissentions entre l’état et l’église, la nation et le souverain, le clergé, la noblesse et le peuple. Cependant cette superstition, née de l’ignorance, l’entretenoit et la devoit faire durer.

Lorsque les beaux temps de la Grèce ou de Rome s’éloignoient par une révolution lente, la corruption, qui avançoit par degrés, laissoit quelques vestiges des anciennes mœurs ; si le souvenir s’en affoiblissoit d’une génération à l’autre, il ne s’effaçoit pas entièrement. Les pères qui les retraçoient aux enfans, les faisoient au moins respecter. On les admiroit, on les regrettoit, on les réclamoit ; quelquefois même on se livroit à l’illusion de les voir renaître.

Mais les peuples de l’Europe, corrompus dès leur établissement, étoient sans regrets comme sans espérance. Les pères, en disant aux enfans ce qu’ils avoient vu, ne disoient que ce qu’on voyoit encore, des vices et des calamités. L’expérience du passé ôtoit donc jusqu’à l’illusion sur l’avenir, et les peuples étoient malheureux, comme ils l’auroient été, si c’étoit la nature qui les eût condamnés à l’être.

C’est que l’opinion seule les gouvernoit. Ils respectoient en elle, ils adoroient, si j’ose le dire, jusqu’aux abus qu’elle consacre. Cette puissance aveugle, semblable à cette ame universelle que des philosophes ont imaginée dans le chaos, agitoit l’Europe par des mouvemens convulsifs, et entretenoit des désordres qui devoient durer