Page:Chopin et Sand - Lettres, éd. Sydow, Colfs-Chainaye et Chainaye.djvu/27

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son repos, pour son bonheur, pour sa vie enfin, qui me paraît trop chancelante et trop frêle pour résister à de grandes douleurs. Je ne veux pas faire le rôle de mauvais ange. Je ne suis pas le Bertram de Meyerbeer et je ne lutterai point contre l’amie d’enfance si c’est une belle et pure Alice ; si j’avais su qu’il y eût un lien dans la vie de notre enfant, un sentiment dans son âme, je ne me serais jamais penchée pour respirer un parfum réservé à un autre autel. De même, lui sans doute se fût éloigné de mon premier baiser s’il eût su que j’étais comme mariée.

Nous ne nous sommes point trompés l’un l’autre, nous nous sommes livrés au vent qui passait et qui nous a emportés tous deux dans une autre région pour quelques instants. Mais il n’en faut pas moins que nous redescendions ici-bas, après cet embrassement céleste et ce voyage à travers l’Empyrée. Pauvres oiseaux, nous avons des ailes, mais notre nid est sur la terre et quand le chant des anges nous appelle en haut, le cri de notre famille nous ramène en bas. Moi, je ne veux point m’abandonner à la passion, bien qu’il y ait au fond de mon cœur un foyer encore bien menaçant parfois. Mes enfants me donneront la force de briser tout ce qui m’éloignerait d’eux ou de la manière d’être qui est la meilleure pour leur éducation, leur santé, leur bien être, etc.

Ainsi je ne puis pas me fixer à Paris à cause de la maladie de Maurice, etc…, etc… Puis il y a un être excellent, parfait sous le rapport du cœur et de l’honneur, que je ne quitterai jamais parce que c’est le seul homme qui, étant avec moi depuis près d’un an, ne m’ait pas une seule fois, une seule minute, fait