Page:Chopin et Sand - Lettres, éd. Sydow, Colfs-Chainaye et Chainaye.djvu/34

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ceux qui prononcent mon nom font de si étranges commentaires. C’est que je n’ai là-dessus ni secret, ni théorie, ni doctrines, ni opinion arrêtée, ni parti-pris, ni prétention de puissance, ni singerie de spiritualisme, rien enfin d’arrangé d’avance et pas d’habitude prise et, je crois, pas de faux principes, soit de licence, soit de retenue. Je me suis beaucoup fiée à mes instincts qui ont toujours été nobles ;[1] je me suis quelquefois trompée sur les personnes, mais jamais sur moi-même. J’ai beaucoup de bêtises à me reprocher, pas de platitudes ni de méchancetés. J’entends dire beaucoup de choses sur les questions de morale humaine, de pudeur et de vertu sociale. Tout cela n’est pas encore clair pour moi. Aussi n’ai-je jamais conclu à rien. Je ne suis pourtant pas insouciante là-dessus ; je vous confesse que le désir d’accorder une théorie quelconque avec mes sentiments a été la grande douleur de ma vie. Les sentiments ont toujours été plus forts que les raisonnements et les bornes que j’ai voulu me poser ne m’ont jamais servi à rien. J’ai changé vingt fois d’idée. J’ai cru par dessus tout à la fidélité, je l’ai prêchée, je l’ai pratiquée, je l’ai exigée. On y a manqué et moi aussi. Et pourtant je n’ai pas senti le remords, parce que j’avais toujours subi dans mes infidélités une sorte de fatalité, un instinct de l’idéal, qui me poussait à quitter l’imparfait pour ce qui me semblait se rapprocher du parfait. J’ai connu plusieurs sortes d’amour : Amour d’artiste, amour de femme, amour de sœur, amour de mère, amour de religieuse, amour de poète, que sais-je ? Il y en a qui sont nés et

  1. La romancière avait une forte propension à s’idéaliser.