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Page:Choquette - La Terre, 1916.djvu/170

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Et comme pour résister au souvenir déjà lointain d’un certain jour de moisson, où Yves lui avait fait promettre de ne jamais morceler leur vieille terre natale, Lucas avait repris d’invoquer l’étendue exagérée de la ferme, le manque de main-d’œuvre… « Puis cela n’entamerait aucune partie importante… ni le verger, ni la sucrerie… N’est-ce pas ton avis, Lusignan ?… Dis donc ?… » Et, il insistait, mendiant une approbation.

À la fin, ils étaient partis tous les deux pour faire le mesurage du terrain, enfoncer les jalons dans le sol gelé ; puis, afin de conclure légalement l’affaire, ils avaient arrêté de se rendre au village dans l’après-midi et de se rencontrer en l’étude du notaire.

Lucas s’était vu ainsi acculé peu à peu à cette nécessité navrante : démembrer sa ferme. Il était même parvenu, à l’aide de sophismes retournés en tous sens, à y apprivoiser son esprit. Mais quand, descendant vers son village, il perçut nettement qu’il s’en allait de sa main détacher un lambeau de la vieille terre natale, il eut la sensation douloureuse d’arracher ce lambeau à sa propre chair. Et tout de suite, pour en émousser la cuisson, un violent besoin d’alcool l’avait saisi et traîné à l’auberge…

Le rappel subit du nom du notaire Biscornet l’avait pareillement fait sursauter, car il avait en même temps entrevu la binette fouineuse et punaisienne de ce répugnant individu dont il avait toujours constaté la griffe hypocrite et rapace — n’y eut-il que deux sous à tirer — derrière les déboires, les abus de confiance, les procès, les embarras d’argent, toutes