Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/492

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

si vous persévérez, votre constance à écouter la parole divine vous vaudra une grande et belle récompense.
4. Mais voyons ! poursuivons le commentaire du reste dé la parabole. Que lisons-nous à la suite ? Le riche a dit : Envoyez-moi Lazare qu’il prenne une goutte d’eau au bout de son doigt et qu’il rafraîchisse ma langue. (Luc. 16, 24) Écoutons la réponse d’Abraham : Mon fils, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et Lazare pareillement, a reçu ses maux ; ci présent, il reçoit sa récompense, et toi ta punition. Et de plus, il y a entre vous et nous un abîme infranchissable, de telle sorte que ceux mêmes qui le voudraient ne pourraient passer de là-bas ici, ni ceux d’ici là-bas. (Id) Voilà de sérieuses paroles, bien propres à nous peiner, je le sais ; mais autant elles jettent de remords dans la conscience, autant elles donnent de pensées salutaires Si nous devions nous les entendre dire dans l’autre monde comme elles furent dites au riche, ce serait alors qu’il nous faudrait pleurer, gémir et nous lamenter, parce que le moment de la pénitence nous ferait défaut. Mais, comme c’est en ce monde que nous les entendons, comme c’est dans le temps où nous pouvons venir à résipiscence, nous purifier de nos péchés, reconquérir nos espérances, nous convertir sous l’influence de la crainte que nous inspirent les maux d’autrui, rendons grâces à ce Dieu bon qui, par le châtiment infligé aux autres pécheurs, réveille notre apathie et secoue notre sommeil. C’est précisément pour nous faire éviter ces maux que ces paroles furent prononcées avant nous : si Dieu avait voulu nous frapper, il ne nous aurait pas avertis à l’avance par un tel enseignement ; mais, il ne veut pas nous envoyer au supplice, il parle avant d’agir, afin que, devenus sages par l’effet de la seule menace, nous ne nous exposions pas à faire l’expérience de la réalité.
Mais pour quel motif l’Évangéliste, au lieu de dire tu as eu tes biens (ἔλαβες τὰ ἀγαθά σου) emploie-t-il cette expression : tu as reçu tes biens (ἀπέλαβες τὰ ἀγαθά σου). Vous vous rappelez, je pense, qu’en cet endroit je vous ai dit qu’un vaste, un immense océan de réflexions s’ouvrait devant nous. Ce mot « tu as reçu » implique la signification de dette soldée ; il n’y a reçu que là où il y avait dit. Et, puisque ce riche fut un être criminel, scélérat, inhumain, pour quelle raison l’Évangéliste a-t-il dit, non pas tu as eu tes biens, mais tu as reçu tes biens, comme si ces biens lui fussent avenus de droit, comme s’ils lui eussent été dus ? Qu’y a-t-il à apprendre là ? Il y a que les hommes, même les plus coupables et les plus enfoncés dans les profondeurs du crime, ne sont pas sans faire une, ou deux, ou trois bonnes œuvres. Ce n’est pas une conjecture que je fais : voici la preuve. Où trouver un personnage plus barbare, plus scélérat, plus impie que ce juge d’iniquité qui n’avait ni crainte de Dieu ni respect pour les hommes ? (Luc. 18, 2) Et pourtant, malgré son habituelle méchanceté, il prit en pitié la veuve qui l’assourdissait de son affaire, il consentit à lui rendre service, à lui accorder l’objet de sa requête, à arrêter les injustes vexations dont elle était victime. Ainsi, souvent il se rencontre que tel homme est intempérant, mais miséricordieux, ou bien qu’il est cruel, mais chaste, s’il est à la fois impudique et barbare, il ne laissera pas toutefois de faire en sa vie quelque action louable. Il faut appliquer aussi ce raisonnement – aux gens de bien ; de même que les méchants accomplissent fréquemment certaines bonnes œuvres, de même les hommes justes et vertueux tombent souvent en péché. Qui donc, nous dit l’Écriture, qui donc pourra se glorifier d’avoir un cœur parfaitement chaste ? et qui aura l’assurance d’être pur de tout péché ? (Prov. 20, 9)
Il est donc vraisemblable que le riche, si plongé qu’il fût dans les dernières profondeurs du mal, fit quelque bien pendant sa vie, etque Lazare, tout arrivé qu’il était à la cime de la vertu, se rendit coupable de quelque faute légère : considérez comment le patriarche déclare l’une et l’autre chose en disant : Tu as reçu tes biens en ta vie et Lazare ses maux. Toi, dit-il, si tu as fait quelque bien et si tu as eu droit à quelque récompense, tu as reçu pendant ta vie mondaine tout ce qui te revenait tu as joui de mille délices, de richesses abondantes, d’une paix complète, d’une prospérité sans nuage. Celui-ci, s’il a fait quelque chose de mal, a reçu tout son châtiment : il a souffert de la faim, de la misère, et des maux les plus affreux. Tous deux, vous êtes arrivés ici absolument dépouillés, toi de vertu, et lui de péché : en conséquence, celui-ci reçoit la consolation toute pure, et toi, tu supportes un châtiment sans remède. En effet, si d’une part nos bonnes œuvres sont minces et légères tandis que nos