Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/535

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Avez-vous remarqué, chers auditeurs, de quelles délices jouissait celui qui était entré par la porte large et qui suivait constamment la voie spacieuse ?
Néanmoins, qu’aucun de ceux qui m’entendent ne se hâte avant la fin de le proclamer heureux, mais qu’il attende le dénouement pour donner son suffrage. Maintenant, si vous le jugez à propos, produisons devant vous celui qui est entré par la porte étroite, et qui a suivi la voie resserrée ; et lorsque nous aurons contemplé le terme auquel aboutit l’un et l’autre, nous prononcerons sur chacun d’eux en connaissance de cause. Mais qui pourrions-nous produire, sinon ce Lazare, qui était couché à la porte du riche, tout couvert d’ulcères, qui voyait les langues des chiens lécher ses blessures sans pouvoir les repousser ? Car, tandis que le riche, entré par la porte large, suivait la voie spacieuse, ce bienheureux (je l’appelle bienheureux dès maintenant à cause du choix qu’il avait fait), entra par la porte étroite, qui était en tout l’opposé de l’autre. Si le riche vivait dans des délices continuelles, Lazare luttait constamment contre la faim ; si le premier, outre les délices, jouissait encore de la santé du corps et d’immenses richesses, et passait la journée entière dans la bonne chère et l’ivresse, le second, outre la faim, était encore en proie à la dernière indigence, à une maladie continuelle, à d’insupportables ulcères, et n’avait pas même la nourriture indispensable ; il désirait les miettes qui tombaient de la table du riche, et on ne daignait pas les lui donner.
4. Je le répète, Lazare entré par la porte étroite suivait, sans jamais s’en écarter, la voie resserrée ; le riche, au contraire, passait par la porte large et la voie spacieuse. Mais l’important est d’examiner la fin de chacun d’eux. Voyons à quelle étroite issue aboutit le riche, à quelle sortie large et pleine d’une infinie jouissance arrive de son côté le pauvre. Est-ce que cette double fin ne nous dit pas assez qu’il ne faut pas entrer par la porte large ni suivre la voie spacieuse, que nous devons, bien loin de là, rechercher la porte étroite et marcher par la voie resserrée pour parvenir au séjour du bonheur ?
Quand chacun d’eux fut arrivé au terme de sa vie, remarquez ce qui est dit d’abord de celui qui avait suivi la voie resserrée : Or, il arriva, dit l’Évangile, que le pauvre mourut, et il fut porté par les anges dans le sein d’Abraham. (Luc. 16, 22) Sans doute les anges qui l’emmenaient marchèrent devant lui, lui firent cortège et le mirent en possession, après ses nombreuses tribulations et son pénible voyage, du séjour de la joie et du parfait repos. Voyez-vous combien apparaissent larges au terme de la route la porte étroite et la voie resserrée ? Considérez maintenant le terme funeste de la voie spacieuse. Le riche mourut à son tour, dit l’Évangile, et il fut enseveli. Personne ne marcha devant lui, personne ne l’escorta, personne ne lui servit de guide, comme à Lazare. Il possédait tous ces avantages dans la voie spacieuse, il avait une nombreuse escorte de gardes et de serviteurs, je veux dire les flatteurs et les parasites ; mais quand il arriva au terme il fut dépouillé et privé de tout, après de si grandes, je devrais dire après une si courte jouissance, une si éphémère prospérité. En effet, la vie présente tout entière est bien rapide comparée aux siècles à venir. Après les courtes délices dont il a joui en suivant la voie spacieuse, il est donc reçu dans le séjour de la gêne et de l’affliction. Lazare se reposait dans le sein du patriarche, recueillant la récompense de ses travaux et de ses grandes misères : après la faim, après les ulcères, après avoir été couché à la porte du riche, il jouissait de délices mystérieuses et au-dessus de toute expression. Le riche, après avoir épuisé toutes les voluptés de la vie, après de grands excès de table et de vin, fut livré à un supplice affreux, et torturé impitoyablement. Et afin que chacun d’eux apprenne par les effets, celui-ci l’utilité de la voie étroite, celui-là le dommage et le malheur de la voie spacieuse, ils se contemplent mutuellement, séparés l’un de l’autre par une énorme distance. Voici de quelle manière : Du sein de l’enfer, dit l’Évangile, et du milieu des tourments dans lesquels il était, le riche, levant les yeux, voit Abraham de loin et Lazare dans son sein. (Luc. 16, 23). Or, il me semble qu’envoyant ce revirement si subit et si complet, et celui qui était couché à sa porte exposé à la langue des chiens jouir d’un tel honneur et habiter le sein d’Abraham, tandis que lui-même était couvert de honte et en outre dévoré par les flammes, il me semble, dis-je, qu’il ressentait plus vivement ses douleurs. Voyant donc que les choses avaient changé de face et que lui, qui avait goûté en songe pour ainsi dire, des plaisirs disparus maintenant comme une