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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 6, 1865.djvu/153

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rappelle ici un bienfait ou plutôt trois, et même une infinité : la fin de la captivité en pays barbare, de l’exil, de la servitude, de tant de maux et de misères, et une multitude de miracles accomplis : puis il rapporte comment Dieu a choisi les Juifs pour sanctuaire, pour sujets, car ceci même est un bienfait, et des plus grands, que de les avoir admis au rang de ses sujets. « La mer le vit et s’enfuit ; le Jourdain retourna en arrière (3). » Voyons le langage s’élever et le bienfait grandir. A quoi bon parler des barbares et des gentils, quand la création elle-même céda, changea de face à la vue d’un tel guide, à la voix d’un pareil conducteur ? En effet rien ne résistait alors au peuple hébreu, afin que tous pussent juger que les événements ne se passaient point suivant l’ordre des choses humaines, que c’était une puissance divine et cachée qui opérait tant de miracles. Considérez la sublimité du langage, et comme elle est bien à sa place. Le Psalmiste ne dit pas : « reculé ni a fait place, mais bien la mer le vit et s’enfuit. » Par là il veut représenter la vitesse de cette retraite, le degré de cet effroi, la facilité de l’opération divine.
Et pour qu’on n’aille pas croire que ces choses s’accomplirent par hasard ou dans un temps marqué par la nature, elles né se renouvelèrent pas : elles n’eurent lieu qu’une fois, sur l’ordre de Dieu et avec acception de personnes. La violence désordonnée des eaux devint à sa voix, comme une force animée et raisonnable, pour sauver les uns, perdre les autres, ensevelir ceux-là, faciliter le passage de ceux-ci. On peut observer la même chose au sujet de la fournaise de Babylone. Le feu, cet élément indiscipliné par nature se montra docile à la volonté de Dieu, lorsqu’il épargna ceux qui étaient dans la fournaise et s’élança sur ceux qui étaient alentour pour les consumer. « Le Jourdain retourna en arrière. » Voyez-vous que les miracles s’opèrent dans des temps et des lieux divers ? Afin de montrer aux hommes que la puissance de Dieu est répandue partout, qu’aucun lieu ne l’enferme, Dieu fit éclater ses prodiges dans le désert, dans le pays des barbares et partout, tantôt en mer, tantôt sur les fleuves, tantôt à l’époque de Moïse, tantôt à celle de Jésus : partout les miracles accompagnaient le peuple de Dieu, afin que sa dureté et son aveuglement, cédant à la vertu de ces prodiges, devinssent capables d’accueillir avec docilité la vraie doctrine. « Les montagnes ont bondi comme des béliers et les collines comme des agneaux (l4). » Ici une importante question s’élève. Quelques-uns conçoivent des doutes, et disent : nous sommes instruits des événements pissés ; l’histoire nous apprend que la Mer Rouge s’entr’ouvrit à la sortie, que le Jourdain retourna en arrière au passage de l’arche : mais que les montagnes et les collines ont tressailli, c’est ce qu’aucune relation ne nous révèle. Que répondre à cela ? Il faut répondre que le Prophète voulant représenter avec force l’allégresse, ainsi que la grandeur des miracles, prête aux choses inanimées elles-mêmes, les tressaillements et les soubresauts que la joie cause chez les êtres vivants. De là cette comparaison ajoutée « comme des béliers et comme des agneaux. » En effet, quand ces animaux se réjouissent ; ils marquent leur plaisir par des trépignements. Ainsi donc, de même qu’un autre dit à propos de malheurs, que la vigne et le vin ont été dans le deuil (Is. 24,7), non que la vigne puisse être dans l’affliction, mais afin d’indiquer un extrême abattement par cette hyperbole qui associe les êtres inanimés eux-mêmes à la douleur générale : de même le Psalmiste, en cet endroit, fait participer la création à la joie dont il parle, afin de montrer combien elle est grande. Ne disons-nous pas de même que la joie anime tout à l’approche d’un personnage illustre ? Vous avez rempli de joie notre maison, disons-nous : non pas que nous ayons en vue les murs, mais afin de représenter l’excès de l’allégresse. « Pourquoi, ô mer, as-tu fui ? et toi, Jourdain, pourquoi es-tu retourné en arrière ? » « Pourquoi avez-vous bondi, montagnes, comme des béliers, collines, comme des agneaux ? » Il continue sous forme d’interrogation, et converse avec les éléments, en vertu de la même idée qui lui a dicté cette expression « bondir ? » S’il pariait ainsi sans attribuer d’ailleurs le sentiment à ces choses, mais pour marquer comme je l’ai dit plus haut un excès de joie et de bienfaits, c’est dans le même sens qu’il leur adresse cette question : il ne croit pas qu’elles puissent lui répondre ni qu’elles sentent rien : il ne veut que donner plus d’énergie à son langage, et montrer ce qu’il y a d’extraordinaire dans les événements.
3. C’est parce qu’il s’agit d’un fait inouï et