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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 6, 1865.djvu/441

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des cieux, il ne songe qu’au tribunal, au jugement qui l’attendent là-haut : et fort de ces pensées, il se jette sur le tyran. Il savait, en effet, il savait bien que la menace d’un roi n’est semblable au courroux d’un lion qu’aux yeux de ceux dont les regards sont fixés sur la terre : mais pour un homme qui ne songeait qu’au ciel, qui était prêt à laisser sa vie au fond du sanctuaire, plutôt que de laisser violer les saintes lois, ce roi-là était moins qu’un chien. Rien de plus faible, en effet, que l’homme qui transgresse les lois divines ; et rien de plus fort, au contraire, que celui qui en prend en main la vengeance. « Celui qui commet le péché est esclave du péché (Jn. 8,34) », de quelques milliers de couronnes que son front soit décoré : au contraire, celui qui pratique la justice, fût-il d’ailleurs le dernier des hommes, est plus digne du nom de roi que le roi lui-même. Telles étaient les pensées de ce généreux prêtre, lorsqu’il fondit sur le roi. Entrons nous-mêmes avec lui s’il vous paraît bon, afin d’entendre ce qu’il dit au roi. Nous le pouvons : et ce n’est pas un spectacle stérile, que de voir un roi confondu par un prêtre. Que dit donc le prêtre ? « Tu n’as pas le droit, Ozias, d’offrir l’encens au Seigneur. »
Il ne l’appelle pas roi, il ne le désigne point par le nom de sa dignité, attendu que lui-même avait commencé par se détrôner. Vous avez vu l’intrépidité du prêtre ? considérez maintenant sa douceur. L’intrépidité ne nous suffit pas. Quand il s’agit de reprendre autrui, c’est de mansuétude surtout que nous avons besoin. En effet, comme personne n’inspire plus d’aversion et de haine aux coupables que ceux qui doivent les reprendre, comme ils ne désirent rien tant qu’une occasion de leur échapper et de se dérober au châtiment, il faut les retenir par la douceur et la modération. Ce n’est pas seulement la voix d’un censeur, c’est sa vue même qui est importune aux coupables : « Son aspect même nous est odieux », est-il écrit (Sag. 2,15) : aussi faut-il leur montrer beaucoup de mansuétude ; et c’est pour cela que l’Écriture nous a mis sous les yeux et le pécheur, et celui qui allait le reprendre. Lorsqu’un médecin habile doit couper un membre gangrené, extraire des pierres engagées dans le corps, ou guérir enfin quelque autre infirmité, il ne prend pas le malade dans un coin pour le traiter, il le transporte en pleine place publique, et c’est là, au milieu d’une assemblée de spectateurs, qu’il procède à l’opération. Si les médecins agissent de la sorte, ce n’est pas pour tirer des infortunes humaines un sujet de vanité, c’est pour engager chacun de nous à prendre soin de sa santé. L’Écriture ne t’ait pas autrement, quand elle a mis la main sur un pécheur, elle l’expose, en quelque sorte, aux regards, par une proclamation solennelle, non pas au milieu d’une place, mais au milieu de la terre : et c’est sous les yeux de l’univers entier, qu’elle vaque au traitement du malade, nous enseignant par là à veiller de plus près sur notre salut. Voyons donc comment, dans cette occasion, le prêtre essaya de ramener Ozias à de meilleurs sentiments.
Il ne lui dit pas : Criminel, scélérat, tu confonds, tu bouleverses tout, tu t’emportes au dernier excès de l’impiété : il ne se répandit pas en longues accusations. De même que les chirurgiens s’efforcent de faire promptement leur besogne, afin de diminuer la douleur de l’opération en l’abrégeant : de même il se borne à un petit nombre de paroles pour arrêter l’effervescence de la témérité du roi : car le reproche est aux pécheurs ce qu’est aux malades l’amputation. Nous avons d’autres preuves de sa modération : mais la concision de son langage, elle-même, en est une. Voulez-vous voir comment il opère avec ses paroles, en cachant son fer, écoutez : « Tu n’as pas le droit d’offrir l’encens au Seigneur cela n’appartient qu’aux prêtres, aux fils d’Aaron, à ceux qui sont consacrés. » Voilà le coup porté. Comment ? je vais le montrer. Pourquoi n’avoir pas dit simplement « Les « prêtres », et avoir ajouté Aaron ? C’est qu’il avait été le premier des grands prêtres, et que de son temps, il y avait eu un attentat analogue. Dathan, Coré et Abiron s’étaient révoltés contre lui avec quelques autres, et voulaient exercer eux-mêmes le sacerdoce : la terre s’entr’ouvrit pour les engloutir, et un feu tombé du ciel les dévora, C’est pour lui rappeler cette vieille histoire, qu’il fait mention d’Aaron, objet alors de cet attentat : il espère par là ramener la pensée du roi vers le châtiment infligé aux usurpateurs. Ce fut en pure perte : non par la faute du prêtre, mais par suite de la témérité du roi. Il aurait dû louer le prêtre et le remercier de son conseil. Mais, bien au contraire, il est écrit qu’il s’irrita, et envenima ainsi sa blessure. Car le péché