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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 6, 1865.djvu/93

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un roi qui soit pervers et un de ses sujets qui soit vertueux, et voyons quel est celui qui est le maître, quel est celui des deux chez qui éclate le signe de la domination, quel est le supérieur, quel est l’inférieur. Comment donc nous en assurer ? Supposons que le roi ordonne à son sujet de faire quelque chose de mal, de commettre un péché : que va faire ce sujet vertueux et fidèle ? non seulement il ne cédera pas, non seulement il n’obéira pas, mais il essayera même de faire revenir le prince sur son ordre, et cela au péril de sa vie. Quel est donc l’homme vraiment libre, de celui qui ne fait que ce qu’il veut et qui ne craint pas son roi, ou de celui qui voit ses ordres méprisés par son sujet ? Et, pour ne pas nous borner à une vague supposition, cette Égyptienne, la femme de Putiphar, n’était-ce pas une reine ? Ne commandait-elle pas à toute l’Égypte ? N’avait-elle pas un roi pour époux ? N’était-elle pas environnée d’une grande puissance ? Or qu’était Joseph ? N’était-ce pas un esclave, un captif ? N’était-ce pas un serviteur acheté à prix d’argent ? Ne vint-elle pas attaquer ce jeune homme avec toutes ses armes, et non par procuration, mais par elle-même ? Eh bien ! qui des deux était libre ou esclave ? Celle qui était forcée de prier, de faire des avances et de supplier, celle qui était l’esclave non d’un homme, mais d’une, passion détestable, ou celui qui méprisait et diadème, et sceptre, et manteau de pourpre, et tout cet attirail de la royauté, et qui brisait les artifices de cette femme ? L’une ne se retira-t-elle pas avec la honte d’un échec, et dominée par une nouvelle passion, par la colère aveugle, par le désir du meurtre, tandis que l’autre sortait de cette épreuve la tête couverte de mille et mille couronnes, après avoir montré que la servitude même ne faisait que rehausser davantage la fierté de l’homme libre ?
10. Il n’y a rien de plus libre que la vertu, rien de moins libre que le vice. Aussi est-il dit ailleurs : « Le serviteur sage dominera les maîtres insensés. » (Prov. 17,2) Le captif, eût-il des richesses infinies, n’en serait que plus près de tomber au pouvoir de tous les autres hommes ; il en est de même de celui qui est subjugué par les passions, il est plus vil que l’araignée. Dans la guerre, ne voyons-nous pas que ce sont les hommes sages qui triomphent ? Quand il faut agir ou délibérer, la raison n’est-elle pas toujours de leur côté, même quand nul ne les écoute ? Et après cette vie, n’avons-nous pas vu le riche demander une goutte d’eau comme un mendiant, sans pouvoir l’obtenir ? Le pauvre au contraire, après avoir vécu sagement et vertueusement, n’a-t-il pas obtenu le bonheur suprême, n’a-t-il pas partagé le sort d’Abraham ? Et si nous nous reportons au temps des apôtres, tout enchaînés, tout flagellés qu’ils étaient et quoique soumis à des supplices de toutes sortes, n’étaient-ils pas supérieurs à ceux qui les traitaient ainsi ? Songez combien ils avaient frappé l’esprit de leurs persécuteurs pour les avoir amenés à dire : « Que faire à de tels hommes ? » (Act. 4,16) Et ces hommes, ils les tenaient enchaînés, ils les tenaient sous leur main, en plein tribunal ! D’un côté des juges et des princes, de l’autre des accusés, et pourtant ce sont ceux-ci qui out vaincu. Partout, si nous voulions entrer dans le détail, nous verrions l’homme vertueux supérieur au méchant, supérieur de cette vraie supériorité et non de cette supériorité menteuse et selon les idées du vulgaire, supériorité fausse et facile à confondre, supérieur de cette supériorité solide que rien ne peut ébranler. « Et leur puissance vieillira dans l’enfer », c’est-à-dire s’affaiblira. Voici ce que signifient ces paroles : non seulement ils seront ici-bas faciles à vaincre, car nul ne prendra leur défense, nul ne leur tendra la main, et ils seront exposés aux attaques de tous, mais, ce qu’il y a de plus terrible, ils ne trouveront là-bas personne pour les assister, personne pour les secourir, personne pour leur tendre la main, personne pour adoucir leurs châtiments par des paroles de consolation. C’est ainsi que les vierges sages n’ont été d’aucun secours aux vierges folles, Abraham d’aucun secours au mauvais riche, Noé, Job et Daniel d’aucun secours à leurs fils et à leurs filles. « Leur puissance vieillira », cela veut dire qu’elle s’affaiblira, qu’elle disparaîtra. « Ce qui passe et vieillit, est près de sa fin. Ils ont été précipités hors de leur gloire. » (Héb. 8,13)
L’objet de leurs plus vifs désirs, l’objet de tous leurs efforts et de toutes leurs préoccupations, c’était de jouir d’une gloire durable après leur mort parle moyen de leurs richesses, de leurs vastes constructions, de leurs tombeaux et de leurs noms qu’ils y faisaient inscrire : voici que cette gloire même ils ne l’obtiendront pas, dit le Prophète, et c’était ce qui excitait le