Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/126

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joué toutes ces manœuvres, si tous les citoyens, connus et inconnus, ne m’avaient pas averti que l’on songeait, que l’on cherchait, que l’on travaillait à renvoyer l’affaire à l’année suivante, j’aurais pu craindre, en voulant consacrer à l’accusation tout le temps qui m’est accordé, de n’avoir pas assez de griefs, de manquer de paroles, de voix et de forces, pour accuser une seconde fois un homme que personne, dans une première action, n’avait osé défendre. Le parti que j’ai pris, je l’ai fait approuver aux juges, et au peuple romain. Personne ne pense qu’il y ait eu un autre moyen de prévenir les manœuvres et l’impudence de ces hommes. Jugez quelle eût été ma sottise, si, pouvant éviter le piége qu’on me tendait, je me fusse laissé ajourner au terme fixé par ceux qui, voulant à force d’argent, sauver Verrès de nos mains, avaient eu soin d’insérer cette clause dans leur marché : si le jugement a lieu après les calendes de janvier ; mais aujourd’hui que j’ai dessein d’exposer la cause dans toute son étendue, je dois ménager avec soin les moments qui me sont accordés.

XII. Je laisserai donc de côté ce premier acte si honteux, si infâme de la vie de Verrès. Il n’entendra de moi rien qui ait trait aux turpitudes et aux crimes de son enfance, rien des impuretés de cette jeunesse que vous vous rappelez sans doute, ou dont vous pouvez retrouver la parfaite image dans ce digne rejeton qu’il a produit. Je passerai sous silence tout ce qui me paraîtra honteux à dire, et je considérerai moins ce qu’il mérite d’entendre, que ce que la décence me permet de dévoiler. Et vous, je vous en prie, accordez-moi, permettez-moi, de pouvoir taire, par pudeur, une partie de ses impudences. Je le tiens quitte de tout le temps qui s’est écoulé avant son entrée dans les charges et dans les affaires publiques. Taisons-nous sur ses bacchanales nocturnes et ses veilles licencieuses ; ne parlons ni de corrupteurs, ni de joueurs, ni d’entremetteurs ; qu’il ne soit pas question dans mon discours des pertes et de la honte que sa jeunesse a coûté à son père, qu’il y gagne de ne pas m’entendre révéler ses premières infamies, mais que le reste de sa vie me dédommage de ce que j’abandonne. Vous avez été questeur du consul Cn. Papirius, il y a quatorze ans : c’est pour vos actes depuis ce jour jusqu’à celui-ci, que je vous cite devant ce tribunal. Pas une heure qui n’ait été marquée par un vol, par un crime, une cruauté, une infamie. Ces années vous les avez passées dans votre questure, dans votre lieutenance en Asie, dans vos deux prétures à Rome et en Sicile. Je distribuerai donc en quatre parties mon accusation.

XIII. Nommé questeur, vous tirâtes au sort une province d’après le sénatus-consulte : celle qui vous échut fut une province consulaire, où vous eûtes pour consul Cn. Carbon. La division était alors entre les citoyens ; je ne dirai pas quelle fut votre opinion à cette époque ; je dis seulement qu’en pareille circonstance, et dans les fonctions où le sort vous avait placé, vous deviez décider lequel des deux partis vous vouliez embrasser et défendre. Carbon voyait avec peine que le sort lui eût donné pour questeur un homme si singulièrement inepte et débauché ; cependant il le comblait d’honneurs et de biens. Pour abréger, les fonds accordés furent délivrés ;