Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/138

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le plus violent témoignage, tout coupable qu’il était ; lorsqu’il n’a voulu enfin rendre ses comptes qu’après votre condamnation.

XXXI. Et vous, Verrès, et vous, vos passions seront-elles si grandes que les provinces romaines, les nations étrangères ne puissent ni les supporter, ni leur suffire ? Quoi donc ! dès que vous aurez vu quelque objet, que vous en aurez entendu parler, que vous l’aurez désiré, que vous y aurez pensé, s’il ne se présente au moindre signe, s’il ne s’abandonne à vos désirs, à votre fureur, il faudra que vos satellites soient envoyés, que les maisons soient forcées ? que des peuples en paix avec nous, nos alliés et nos amis, aient recours à la force des armes pour écarter de leur personne et de leurs enfants la scélératesse et la brutalité d’un lieutenant du peuple romain ? Car, je vous le demande, n’avez-vous pas été assiégé à Lampsaque ? Cette multitude ne voulut-elle pas incendier la maison où vous étiez logé ? brûler vif un lieutenant du peuple romain ? Vous ne pouvez le nier : j’ai entre les mains votre propre témoignage, celui que vous avez rendu devant Néron ; j’ai la lettre que vous lui avez envoyée. Lisez cet endroit de la déposition : Déposition de C. Verrès contre Artémidorus. Lisez ce passage de la lettre de Verrès à Néron : Extrait de la lettre de C. Verrès à C. Néron. « Bientôt, dans la maison… » La population de Lampsaque aurait-elle songé à faire la guerre au peuple romain ? à se soustraire à notre empire ? Je vois en effet, et je sais par l’histoire, et la tradition, que lorsque un lieutenant du peuple romain a été, je ne dirai pas assiégé, assailli par le fer, par le feu, par des troupes armées, mais seulement insulté dans une ville, la coutume est de déclarer la guerre à cette ville et de la traiter comme rebelle, si elle se refuse à une satisfaction publique. Quel est donc le motif qui porta tous les citoyens de Lampsaque à quitter l’assemblée, comme vous l’avez écrit vous-même, pour courir à votre maison ? car, ni dans votre lettre à Néron, ni dans votre déposition, vous n’indiquez le motif d’un si grand tumulte : vous dites que vous avez été assiégé dans votre maison ; qu’on y a apporté du feu, que du bois a été amassé à l’entour, que votre licteur a été tué, qu’il ne vous a plus été possible de paraître en public ; et vous nous cachez la cause d’une si grande terreur. En effet, ils seraient venus pour se plaindre, et non pour vous assiéger, si Rubrius eût agi de son chef, si ce n’était pas par votre ordre, et pour servir votre passion, qu’il eût commis cette violence. Et maintenant que nos témoins ont révélé la cause de ce tumulte, que faut-il de plus pour croire à mes paroles, que leur déposition et l’opiniâtreté de son silence ?

XXXII. Juges, épargnerez-vous un homme dont les excès ont été si odieux, que ses victimes n’ont pu attendre le moment légal de la vengeance, ni contenir pour un temps la violence de leur douleur ? vous avez apparemment été assiégé ! par qui ? par des barbares, ou par une nation qui méprisait le nom romain ? Non, mais par des peuples que leur naturel, leurs mœurs, leur éducation, ont rendus les plus doux des hommes ; les alliés du peuple romain par leur condition, ses sujets par les chances de la fortune, ses suppliants par l’inclination. Il est donc évident que si l’outrage n’eût pas été assez cruel, le crime assez horrible pour que les Lampsaciens préférassent la mort à l’idée d’une pareille tyrannie, ils n’en