Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/161

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aimez surtout les terres les plus voisines, la proximité d’une province, qui est pour ainsi dire à nos portes, doit nous la rendre plus chère encore. Telle est d’ailleurs la vie laborieuse, simple et frugale des habitants, qu’elle semble se rapprocher beaucoup de nos mœurs, mais de nos mœurs antiques, et non de celles d’aujourd’hui. Ils ne ressemblent en rien aux Grecs ; ils n’en ont ni le luxe ni l’indolence ; ils se distinguent au contraire par une application infatigable dans les affaires publiques et particulières, par beaucoup d’économie et d’activité. Ils ont tant d’affection pour nos compatriotes, que ce sont les seuls qui ne haïssent ni nos fermiers publics, ni nos commerçants. Quoiqu’ils eussent déjà souffert des injustices de plusieurs de vos magistrats, c’est pour la première fois aujourd’hui qu’ils invoquent nos tribunaux, qu’ils se réfugient à l’autel sacré des lois. Cependant ils avaient déjà subi cette année désastreuse, qui les aurait anéantis, si quelque destin propice ne leur eût envoyé C. Marcellus, afin que la Sicile fût deux fois rétablie par la même famille ; ils avaient ensuite gémi sous le pouvoir sans bornes de Marcus Antonius. Mais le peuple romain, comme ils le savaient par leurs ancêtres, leur avait rendu de si grands services, qu’ils croyaient devoir supporter même les injustices de nos magistrats. Aucun préteur, avant Verrès, n’a été poursuivi par un témoignage public de leurs cités. Ils l’auraient enfin supporté lui-même, si ses excès n’avaient été que ceux d’un homme, si ses forfaits ne dépassaient pas toute imagination ; mais ne pouvant plus tolérer ses débauches, sa cruauté, son avarice, son insolence ; tous les avantages, tous les droits, tous les bienfaits qu’ils tenaient du peuple romain leur étant ravis par les crimes et le caprice d’un seul, ils ont résolu, ou de poursuivre et de venger par vos arrêts les injustices qu’ils ont essuyées, ou, s’ils vous paraissaient indignes de votre protection, d’abandonner leurs villes et leurs demeures, puisque aussi bien les persécutions de Verrès leur ont déjà fait déserter leurs campagnes.

IV. C’est dans ce dessein que toutes leurs députations ont supplié L. Métellus de venir au plus tôt remplacer Verrès ; c’est dans cet esprit qu’ils ont tant de fois déploré leurs infortunes auprès de leurs protecteurs ; c’est pénétrés de cette douleur qu’ils ont présenté aux consuls une requête, ou plutôt une accusation contre Verrès. Moi-même, dont ils avaient éprouvé la fidélité et la modération, ils ont trouvé moyen, à force de larmes et de gémissements, de me faire manquer, pour ainsi dire, aux règles que je m’étais toujours imposées en me contraignant d’accuser Verrès, malgré mes principes et mes répugnances, et, quoique mon rôle dans cette cause soit, après tout, celui d’un défenseur plutôt que d’un accusateur. Enfin, les personnages les plus distingués, les premiers de toute la province sont venus en leur nom et au nom de leurs villes ; les cités les plus importantes et les plus honorables ont poursuivi leurs injures avec le plus d’ardeur. Mais comment, juges, sont-ils venus ? Ici, je crois déjà devoir vous parler pour les Siciliens plus librement qu’ils ne désireraient peut-être ; je consulterai plutôt leur intérêt que leur volonté. Croyez-vous que jamais dans aucune province on ait employé tant de moyens, et montré tant de pas-