Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notre adversaire ? poursuivre nos droits sans ravir à un parent jusqu’à l’existence ? prendre le rôle de demandeur et renoncer à celui d’accusateur ? — Oui, dit-il, je recevrai de vous une caution ; mais vous n’en aurez pas de moi.

XIV. Qui donc nous dicte des lois si équitables ? qui décide que ce qui est juste pour Publius est injuste pour Névius ? Les biens de Publius, dit-il, ont été sous la saisie en vertu de l’édit. — Vous demandez donc que j’en convienne ? que nous confirmions, par notre propre aveu, la vérité d’un fait dont nous soutenons la fausseté devant la justice ? Ne serait-il pas possible, Aquillius, que chacun fit triompher ses droits, sans attaquer l’honneur, la réputation, la vie de personne ? Oui, certes ; s’il était dû quelque somme a Névius, il la demanderait. Il n’épuiserait pas toutes les formes de procédure, pour éluder la seule question d’où dépendent toutes les autres. Vous qui, pendant de longues années, n’avez pas dit un mot de cette dette à Publius, quoique vous puissiez lui en parler tous les jours ; vous qui, depuis le commencement de vos injustes poursuites, avez consumé tout le temps en remises et délais ; vous qui, après un désistement formel, avez, par une insigne perfidie, chassé votre associé du domaine commun ; vous qui, libre de faire juger le fond sans que personne s’y opposât, avez mieux aimé engager un procès de diffamation ; vous enfin qui, rappelé à cette question principale, source et origine de toutes les autres, refusez les conditions les plus équitables ; avouez donc que ce n’est pas de l’argent que vous voulez, mais la vie et le sang de votre adversaire. Ne dites-vous pas ouvertement : « S’il m’était dû, je demanderais ; j’aurais même reçu depuis longtemps ; je n’aurais pas besoin de tant d’intrigues, d’une si odieuse procédure, de l’appui de tant d’amis, si je ne voulais que demander ? Non, il faut faire violence à cet homme, et lui extorquer ce qu’il ne doit pas ; il faut le lui enlever, le lui arracher de vive force ; il faut dépouiller Publius de toute sa fortune ; il faut appeler à mon secours tout ce qu’il y a d’habiles orateurs, d’hommes nobles et puissants ; il faut que la force triomphe de la vérité. Menaces, dangers, terreurs de toute espèce, employons tout pour frapper son imagination, afin que vaincu, épouvanté, il cède de lui-même. » Et certes, quand j’envisage nos adversaires et ceux qui viennent les appuyer devant ce tribunal, l’orage me paraît en effet prêt à fondre sur nous, sans qu’il nous reste aucun moyen de l’éviter. Mais, lorsque je reporte sur vous, Aquillius, mes regards et ma pensée, alors je conçois que plus on fait d’efforts pour nous accabler, plus ces efforts et cet acharnement sont vains et impuissants. Publius ne vous devait donc rien, comme vous en faites hautement l’aveu. Mais quand il vous aurait dû, était-ce une raison pour demander au préteur la saisie de ses biens ? Un tel procédé ne me paraît ni dans l’intérêt de la justice, ni dans le vôtre. Quel est votre prétexte ? Vous dites qu’on a manqué à un ajournement.

XV. Avant de prouver qu’il n’en est rien, je suis bien aise, Aquillius, de rappeler ici les égards qu’on se doit et qu’on se rend tous les jours dans le commerce de la vie, et d’y comparer la conduite de Névius. Un homme, votre parent, votre associé, avec lequel vous étiez lié depuis longtemps