Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/231

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contre un préteur du peuple romain. Aucune défense, Verrès, non, aucune défense ne saurait détruire le témoignage de cette seule ville, tant les hommes qui le rendent sont dignes de foi par leur dévouement à notre empire ! tant ils sont pénétrés des injures qu’ils ont reçues ! tant ils déposent avec un scrupule religieux ! Mais ce n’est pas une seule ville, ce sont toutes les villes opprimées par vous, dont les députations et les témoignages publics vous poursuivent.

XXXII. Voyons, en effet, comment Herbite, ville distinguée et auparavant opulente, a été pillée et désolée par Verrès. Mais quels sont ses habitants ? Des cultivateurs recommandables, qui détestent le barreau, les plaidoiries, les contestations judiciaires : vous deviez, lâche tyran, épargner cette classe d’hommes, la ménager, la conserver avec le plus grand soin. La première année, les dîmes de leur territoire furent affermées dix-huit mille médimnes de blé. Atidius, autre agent du préteur pour les dîmes, avait pris le bail : il arrive à Herbite sous le titre de préfet, suivi des esclaves de Vénus, et la ville lui assigne un logement. Les habitants sont aussitôt forcés de lui donner trente-sept mille médimnes de bénéfice, quoique les dîmes n’eussent été affermées que dix-luit mille. Et ils sont forcés de lui donner ce surcroît au nom de la ville, lorsque les cultivateurs en particulier, dépouillés et déjà tourmentés par les vexations des décimateurs, s’étaient enfuis de leurs champs. La seconde année, Apronius ayant pris les dîmes pour vingt-cinq mille médimnes de blé, et étant venu lui-même à Herbite avec sa troupe de brigands, le peuple, au nom de la ville, fut obligé de lui payer une indemnité de vingt-six mille médimnes, et en outre deux mille sesterces. Pour ce qui est de l’argent, je doute s’il n’a pas été donné à Apronius lui-même comme salaire de sa peine et comme prix de son impudence. Mais peut-on douter que d’une telle quantité de blé, comme de celui d’Agyrone, il ne soit venu la plus grande partie à Verrès, à ce dévastateur des campagnes ?

XXXIII. La troisième année, le préteur a suivi pour ce territoire une coutume royale. Des barbares, les rois de Perse et de Syrie sont, dit-on, dans l’usage d’avoir plusieurs femmes, et d’assigner des villes pour leur parure ; les choses sont réglées ainsi : telle ville doit fournir pour les rubans, celle-ci pour les colliers, celle-là pour les coiffures. Ainsi ils ont, dans tous les peuples ; non seulement des témoins, mais encore des ministres de leurs dissolutions. Verrès, qui se regardait comme le roi des Siciliens, s’est permis la même licence et le même abus de pouvoir. Eschrion, de Syracuse, a pour femme une certaine Pippa, nom célèbre dans toute la Sicile par les dérèglements de Verrès, et par les couplets sans nombre qu’on affichait sur le tribunal et jusqu’au-dessus de la tête du préteur. Eschrion, époux honoraire de Pippa, est installé nouveau fermier public pour les dîmes d’Herbite. Les habitants, qui voyaient que si les enchères d’Eschrion prévalaient, ils seraient dépouillés au gré d’une femme dissolue, enchérirent tant qu’ils crurent pouvoir le faire. Eschrion mettait toujours au-dessus d’eux ; il ne craignait pas que, sous la préture de Verrès, aucune adjudication pût tourner au désavantage d’une fermière publique. Les dî-