Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/252

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des sénateurs est à plaindre, et combien, par la faute de quelques hommes, il est en butte au mépris et à la haine ! Un Emilius Alba, qu’on peut voir tous les jours à l’entrée du marché, ose dire publiquement que Verrès a gagné sa cause, qu’il a acheté les juges, qu’il a donné à l’un quatre cent mille sesterces[1], à l’autre cinq cent mille[2], qu’a personne il n’a donné moins de trois cent mille[3] ! Et comme on lui répondait qu’il n’était pas possible que Verrès l’emportât, qu’une foule de témoins déposeraient, que d’ailleurs je plaiderais avec zèle : Quand tout le monde, reprit-il, dirait tout ce qu’on peut dire, si l’on ne produit des faits si évidents qu’il ne soit impossible de répondre, nous l’emportons. À la bonne heure, Alba ; j’accepte votre condition vous ne comptez pour rien dans un jugement les conjectures, les présomptions, la considération d’une vie antérieure, les témoignages des citoyens honnêtes ; pour rien l’autorité des villes, leurs registres : vous voulez des faits notoires. Je ne demande pas pour juges des Cassius ; je ne désire pas l’ancienne sévérité des jugements ; je ne réclame pas, Romains, votre équité, votre honneur, votre religion : je prendrai pour juge Alba, un homme qui se donne lui-même pour un mauvais bouffon, et qui, parmi les bouffons même, ne passe que pour un gladiateur. Telles sont les preuves que je produirai pour les dîmes, qu’Alba sera forcé de convenir que, dans ce qui regarde les blés et les biens des agriculteurs, son ami a exercé ouvertement un odieux brigandage.

LXIII. Vous prétendez, Verrès, avoir haussé l’adjudication des dîmes du territoire de Leontini. J’ai montré, dès le commencement, que celui-là là ne devait pas être réputé avoir haussé l’adjudication des dîmes, qui, en apparence, a adjugé les dîmes, mais qui, en effet, par ses conditions, par la loi qu’il a faite, par ses édits, et par les vexations des décimateurs, n’a pas même laissé aux agriculteurs les dîmes de leurs récoltes. J’ai encore montré que d’autres préteurs, avant vous, avaient haussé, et même plus haussé que vous, l’adjudication des dîmes du territoire de Léontini et d’autres territoires ; que cependant ils les avaient adjugées d’après la loi d’Hiéron ; qu’aucun agriculteur ne s’était plaint, et aucun ne devait se plaindre, puisqu’elles avaient été adjugées d’après une loi très équitable. L’agriculteur ne s’inquiéta jamais de l’adjudication des dîmes. Que cette adjudication soit portée haut ou non : il n’en doit ni plus ni moins. C’est suivant l’abondance des récoltes qu’on afferme les dîmes. Or, il est de l’intérêt du cultivateur qu’il ait assez de blés pour que l’adjudication des dîmes soit portée très haut ; pourvu qu’il ne donne pas plus que la dîme, il lui est avantageux que la dîme soit considérable. Mais, sans doute, vous voulez que votre principale défense soit d’avoir haussé l’adjudication des dîmes ; et vous avez affermé les dîmes du territoire de Léontini, un de ceux qui produisent le plus, deux cent seize mille boisseaux de blé. Si je prouve que vous auriez pu les affermer davantage, que vous n’avez pas voulu les adjuger à ceux qui enchérissaient sur Apronius, que vous les avez données à Apronius pour beaucoup moins que vous n’auriez pu les donner à d’autres ; si je le prouve, votre ancien ami, ou plutôt votre ancien amant, Alba lui-même, pourra-t-il vous absoudre ?

LXIV. Je dis donc que Q. Minucius, chevalier romain des plus considérés, avec d’autres per-

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