Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/271

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Cessez de douter s’il est plus utile d’épargner un seul coupable, parce qu’il en est une foule d’autres, ou d’arrêter le débordement des crimes par le supplice d’un seul criminel. Mais enfin, quelle est cette multitude d’exemples dont on s’appuie ? car un défenseur qui, dans une cause aussi importante, dans une accusation aussi grave, prétend qu’une chose s’est faite souvent, fait attendre à ceux qui l’écoutent des exemples pris dans des temps reculés, dans les anciennes annales, des exemples aussi respectables par la dignité des personnes que par l’antiquité des témoignages. Tels sont en effet ceux qui donnent aux preuves le plus d’autorité, et le plus d’intérêt au discours.

XC. Me citerez-vous les Scipion, les Caton, les Lélius ? direz-vous qu’ils ont fait comme Verrès ? Quoique je sois bien loin d’approuver sa conduite, je ne pourrais néanmoins combattre l’exemple de tels hommes. Faute de pouvoir citer ces illustres personnages, nommerez-vous des magistrats plus modernes, Q. Catulus le père, C. Marius, Q. Scévola, M. Scaurus, Q. Métellus ? Ils ont tous gouverné des provinces, et exigé du blé pour la provision de leur maison. Le nom de ces hommes est imposant, et si imposant, qu’il semblerait même pouvoir couvrir une action suspecte. Vous ne pouvez appuyer l’estimation que j’attaque de l’exemple d’aucun de ces magistrats, qui ont vécu peu de temps avant nous. À quel temps, à quels exemples voulez-vous donc me ramener ? De ces époques heureuses où d’irréprochables citoyens ont gouverné la république, lorsque les mœurs étaient pures, qu’on respectait l’opinion, et que la justice se rendait avec sévérité, me transportez-vous à la licence et aux excès de notre âge ? vous défendez-vous par l’exemple de ces hommes dont le peuple romain voudrait qu’on fît un exemple ? Je ne récuse pas même nos mœurs actuelles, pourvu que nous y prenions les exemples qu’approuve le peuple romain, et non ceux qu’il réprouve. Je n’irai pas bien loin, je ne sortirai pas de ce tribunal : parmi les juges, je vois les premiers hommes de l’État, P. Servilius, Q. Catulus, qui, par leur caractère et leurs exploits, se sont déjà placés au rang des anciens et illustres personnages que j’ai nommés. Nous cherchons des exemples, et des exemples qui ne remontent pas très haut. Ils viennent, l’un et l’autre, de commander une armée. Les exemples récents vous plaisent ; demandez-leur, Hortensius, ce qu’ils ont fait. Comment ! Catulus a pris du blé sans exiger d’argent ; Servilius qui, pendant cinq ans a commandé des troupes, et qui, par l’exaction que vous voulez justifier, aurait pu amasser des sommes immenses, Servilius n’a point cru pouvoir se permettre ce qu’il n’avait vu faire, ni à son père, ni à son aïeul Q. Métellus : et un C. Verrès viendra nous dire que ce qui est avantageux est permis ; il se défendra par l’exemple des autres d’avoir fait ce qui n’a pu être fait que par un méchant !

XCI. Mais cela, dites-vous, s’est pratiqué souvent en Sicile. Quelle est donc la destinée de la Sicile ! Quoi ! une province à qui son ancienneté, sa fidélité, sa proximité de Rome devraient donner plus de privilèges qu’aux autres, n’aurait d’autre distinction que d’être assujettie à un règlement inique ! Mais, pour la Sicile même, je ne chercherai pas d’exemples hors d’ici, j’en pren-