Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/275

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torquer des sommes immenses à l’aide de la plus révoltante injustice, est la seule du moins qu’on ne saurait attaquer ? S’il en est ainsi, qu’avons-nous à dire contre ce préteur, qui monte tous les jours à la tribune, et qui soutient que la république ne peut subsister, si le droit de juger n’est rendu à l’ordre équestre ? Que ce magistrat essaye de prouver seulement, qu’il est un genre de concussion que tous les sénateurs se permettent, qui est presque autorisé pour cet ordre, par le moyen duquel on enlève aux alliés un argent énorme sous le prétexte le plus injuste ; qu’il n’est pas permis d’attaquer cette malversation dans les causes jugées par les sénateurs ; qu’elle n’a jamais eu lieu quand l’ordre équestre fournissait les juges, qui osera le contredire ? et l’homme le plus dévoué à vos intérêts, le plus zélé partisan de votre ordre pourra-t-il s’opposer à ce qu’on restitue aux chevaliers l’administration de la justice ?

XCVII. Eh ! plût aux dieux que Verrès pût fournir ici un moyen de défense quelque peu raisonnable et plausible ! vous prononceriez avec moins de risque pour vous-mêmes, avec moins de péril pour toutes les provinces. S’il pouvait nier la malversation que je lui reproche, vous paraîtriez l’en avoir cru sur sa parole, et non pas avoir approuvé sa conduite. Mais il est de toute impossibilité qu’il nie ; il est chargé par toute la Sicile ; parmi un si grand nombre de cultivateurs, il n’en est pas un seul dont il n’ait tiré de l’argent sous prétexte des provisions de sa maison.

Je voudrais encore qu’il pût dire que tout cela ne le regarde point ; que ce sont ses questeurs qui ont administré les blés. Mais il ne lui reste pas même ce moyen : nous citons des lettres qu’il a écrites aux villes sur l’affaire des douze sesterces. Quelle est donc sa défense ? J’ai fait ce qu’on me reproche ; j’ai levé de grandes sommes sous prétexte des provisions de ma maison ; mais je le pouvais, et, vous le pourrez comme moi, si vous vous en ménagez le pouvoir. Il est dangereux pour les provinces de confirmer par jugement un système d’exaction ; il est pernicieux pour notre ordre de laisser croire au peuple romain que des hommes qui sont eux-mêmes enchaînés par les lois, ne peuvent, dans les tribunaux, maintenir religieusement les lois. Verrès, pendant sa préture, n’a pas seulement violé toutes les règles dans l’estimation, mais dans la levée même de cet impôt ; car il exigeait, non ce qui lui était dû, mais ce qui lui plaisait. Voulez-vous savoir, par les registres publics et par les dépositions des villes, la quantité de blé qu’il a demandée à ce titre ? vous trouverez, Romains, qu’il a réclamé des villes, pour ses provisions, cinq fois plus qu’il ne lui était permis de prendre. Que petit-on ajouter à son effronterie, si, après avoir fait de son blé une estimation exorbitante, il en a exigé une si grande quantité au delà de celle que lui accordaient les lois ?

Ainsi, Romains, à présent que vous êtes instruits de tout ce qui concerne l’administration des blés, vous pouvez voir aisément que cette province, qui fut toujours pour nous si utile et si nécessaire, que la Sicile enfin est perdue pour notre empire, si vous ne la recouvrez en condamnant Verrès. En effet, qu’est-ce que la Sicile, si vous en ôtez l’agriculture, si vous y détruisez la race et le nom des cultivateurs ? Est-ce