Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/304

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faut pas qu’un innocent périsse. Le sénat en corps va donc trouver le préteur, et lui promet la statue. Alors Sopater est délié. On l’emporte chez lui roide de froid, et presque mort.

XLI. J’essayerais en vain de disposer par ordre les divers chefs d’accusation : l’esprit seul ne suffirait pas ; il faudrait y joindre un art et une adresse infinis. Ce vol du Mercure de Tyndare semble n’offrir qu’un seul délit, et je le présente comme un seul crime. Il en renferme plusieurs ; mais je ne sais comment les diviser et les distinguer. Il y a tout à la fois : — Concusion : une statue d’un grand prix a été enlevée à nos alliés. — Péculat : cette statue, enlevée par autorité, était une propriété publique ; c’était le prix de notre victoire ; elle avait été consacrée par notre général. — Lèse-majesté : Verrès a osé renverser et s’approprier les monuments de la gloire de notre empire. — Sacrilège : la religion a été violée dans ce qu’elle a de plus saint. — Barbarie : un supplice nouveau, inconnu, a été inventé contre un homme innocent, l’ami, l’allié de notre république.

Mais comment caractériser l’emploi qu’il a fait de la statue de Marcellus ? je n’ai pas d’expressions pour définir ce dernier attentat. Quel en était l’objet ? pourquoi cette insulte inconcevable ? Était-ce parce que Marcellus est le patron des Siciliens ? Mais ce titre, au lieu de protéger ses clients et ses hôtes, devait-il leur être funeste ? Vouliez-vous montrer que les patrons ne peuvent rien contre votre violence ? Eh ! ne savait-on pas qu’un magistrat pervers peut faire plus de mal où il est, que tous les protecteurs honnêtes n’en peuvent empêcher où ils ne sont pas ? Ou bien était-ce un dernier effort de votre insolence, de votre tyrannie, de votre incurable perversité ? Oui, vous pensiez avilir et dégrader les Marcellus. Aussi ne sont-ils plus les patrons des Siciliens : Verrès leur a été substitué.

Quelle vertu, quel mérite si grand vous donnait le droit d’usurper cette honorable fonction, aux dépens d’une famille qui l’a remplie depuis si longtemps avec tant de fidélité ? Homme dépourvu de sens, de talents, de moyens, vous, le protecteur, je ne dis pas de la Sicile entière, mais du plus chétif des Siciliens ? Vous avez fait de la statue de Marcellus un instrument de supplice pour les clients de cette illustre famille ! Vous cherchiez dans le monument de sa gloire un moyen de torture contre ceux qui l’avaient érigé ! Et vos statues, qu’espériez-vous pour elles ? avez-vous prévu ce qui leur est arrivé ? En effet, citoyens, à la première nouvelle qu’un successeur lui avait été donné, les habitants de Tyndare s’empressèrent d’abattre la statue de Verrès, placée près de celle des Marcellus, et même sur un piédestal plus élevé.

XLII Ainsi donc. Verrès, la fortune des Siciliens vous a donné C. Marcellus pour juge, afin que ceux que vous attachiez à sa statue vous traînent à leur tour pieds et mains liés à son tribunal. Il disait d’abord que les Tyndaritains avaient vendu cette statue à Marcellus Éserninus : il pensait que Marcellus aurait la complaisance de ne pas le démentir. Pour moi, je n’ai jamais pu concevoir qu’un jeune homme, protecteur né des Siciliens, voulût prêter son nom pour une telle in-