Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/311

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sacrés. Sous le consulat de P. Popillius et de P. Rupilius, Enna fut occupée par des esclaves, par des fugitifs, par des barbares, par des ennemis. Mais ces hommes étaient moins esclaves de leurs maîtres que vous ne l’êtes de vos passions ; ils avaient moins d’horreur pour leurs fers que vous pour la justice et les lois ; ils étaient moins barbares par leur langage et leur patrie que vous par votre caractère et vos mœurs ; moins ennemisdes hommes que vous ne l’êtes des dieux immortels. Quel moyen d’excuse peut rester à celui qui, plus vil que les esclaves, plus furieux que les révoltés, plus féroce que les barbares, plus impitoyable que les ennemis, les a surpassés tous dans leurs excès ?

LI. Vous avez entendu Théodore, Numinius et Nicasion, députés d’Enna, vous dire, au nom de leur ville, qu’ils ont été chargés de voir Verrès, de lui redemander les statues de Cérès et de la Victoire : s’il les rendait, ils devaient se conformer à l’usage antique des Ennéens, et malgré ses déprédations, s’abstenir de déposer contre lui, parce que leurs ancêtres n’ont jamais accusé aucun de leurs préteurs ; si au contraire il refusait, ils avaient ordre de se joindre aux autres accusateurs, d’instruire les juges de tous ses forfaits, et surtout d’insister sur ce qui concerne la religion. Au nom des dieux, accueillez leurs justes réclamations ! Gardez-vous de les mépriser et de les repousser. Il s’agit des injustices qu’ont éprouvées vos alliés ; il s’agit du maintien des lois et de l’honneur des tribunaux. À ces motifs si forts par eux-mêmes se joint un intérêt plus puissant encore : ce sentiment de religion répandu dans toute la province s’est changé en superstition depuis cet attentat de Verrès ; les Siciliens, dont les esprits sont frappés et prévenus, croient que toutes leurs calamités publiques et privées sont la punition de son impiété. Les députés de Cantorbe, d’Agyre, de Catane, d’Herbite, d’Enna, et plusieurs autres vous ont exposé le tableau affligeant de la solitude qui règne dans leurs campagnes ; ils vous ont peint les charrues délaissées, les laboureurs dispersés, toutes les terres désertes, incultes, abandonnées. Je sais qu’il faut en accuser les vexations de Verrès ; mais dans l’opinion des Siciliens, une seule cause a produit tous ces maux : ils croient que Cérès ayant été outragée, tous les fruits et toutes les productions de Cérès ont été frappés de mort. Vengez et protégez la religion de vos alliés ; maintenez la vôtre. En effet, cette religion ne vous est pas étrangère ; et, quand elle le serait, quand même vous ne voudriez pas l’adopter, votre devoir serait de la sanctionner, en punissant celui qui l’a violée. Mais il s’agit ici d’une religion commune à tous les peuples, d’un culte que nos ancêtres ont emprunté et reçu des nations étrangères, et dont ils ont consacré l’origine, en le nommant culte grec : pourrions-nous, quand nous le voudrions, demeurer froids et indifférents ?

LII. Pour terminer enfin cette partie de l’accusation, je vous exposerai la manière dont il a pillé Syracuse, la plus belle et la plus riche de toutes les cités de la province. Il n’est personne de vous qui n’ait souvent entendu dire, ou qui même n’ait lu quelquefois dans nos annales, comment cette ville fut prise par Marcellus. Eh bien ! comparez les temps de la paix sous Verrès, aux temps de la guerre sous Marcellus ; comparez