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SECONDE ACTION CONTRE VERRÈS.

DISCOURS DIXIÈME.


INTRODUCTION.

Ce Discours, qui est la cinquième et dernière section du plaidoyer contre Verrès, peut être divisé en quatre parties.

L’orateur examine la conduite du préteur sous le rapport militaire ; il examine, 1o ce qu’il a fait pour assurer la tranquillité de la Sicile pendant la guerre de Spartacus ; 2o quelles précautions il a prises contre les incursions des pirates ; 3o il retrace la cruauté atroce et réfléchie du préteur, qui, pour cacher l’infamie de sa lâcheté, envoie au supplice les capitaines de sa flotte ; 4o il lui reproche d’avoir fait battre de verges et livré à la mort des citoyens romains. C’est à cause de ces deux dernières parties qu’on a donné à ce Discours le titre de Suppliciis.

Tout le début n’est qu’une ironie assez longtemps prolongée : mais comment parler sérieusement des talents militaires d’un Verrès ? L’orateur ne trouve dans toutes ses actions que les preuves de son apathie, de son imprévoyance, et de son insatiable cupidité.

Son devoir était de prévenir et de réprimer le soulèvement des esclaves. Plusieurs lui sont dénoncés ; ils sont convaincus et envoyés au supplice : mais au moment de l’exécution, les maîtres les rachètent ; et, pour de l’argent, le magistrat leur remet ces esclaves que lui-même a condamnés comme conspirateurs.

Chargé d’entretenir la flotte armée pour protéger la Sicile contre les pirates, il n’a vu, dans les moyens que le gouvernement a mis à sa disposition, qu’une facilité de plus pour exercer des vexations et assouvir son avarice. Toutes les villes maritimes devaient, conformément aux traités, concourir à l’équipement de la flotte : Messine, une des plus fortes cités de la Sicile, construit à ses frais un vaisseau de commerce, qu’elle donne à Verrès ; à ce prix, elle est dispensée de rien fournir pour le service public.

L’usage était que chaque ville s’occupât elle-même de l’approvisionnement de son vaisseau et de l’entretien de son équipage. Il se fait remettre l’argent destiné à cet emploi, et se charge des détails : cependant il vend publiquement des congés aux soldats et aux matelots, sans pourvoir aux besoins de ceux qui sont restés, et la flotte romaine est mise sous les ordres d’un Syracusain dont la femme est la maîtresse du préteur. Cette flotte, sans moyens de résistance, est brûlée par les pirates à la vue de Syracuse. Ils osent même entrer dans le port de cette ville, et braver impunément le préteur et la puissance de Rome.

Verrès, effrayé de l’indignation publique qui avait éclaté non seulement dans la Sicile, mais encore à Rome, imagine d’accuser de trahison les capitaines des vaisseaux, et les condamne à mort. Cicéron demande vengeance de cette atrocité ; il en détaille toutes les horreurs. On verra que dans cette troisième partie, ainsi que dans la quatrième, les plus étendues et les plus importantes du Discours, l’orateur a déployé toutes ses forces. Son âme, pleine de son sujet et profondément pénétrée, répand avec impétuosité les sentiments dont elle est remplie, et fait passer dans toutes les âmes ses rapides émotions.

Mais Verrès ne s’est pas contenté de verser le sang des Siciliens, un grand nombre de Romains ont été, par son ordre, jetés dans les cachots, étranglés dans la prison, battus de verges et frappés de la hache sur la place publique. C’est le plus grand des crimes de Verrès. L’orateur l’a réservé pour la fin de son plaidoyer. Ce n’est plus ici le défenseur des Siciliens qui va se faire entendre ; c’est un citoyen, c’est un magistrat qui veut venger l’outrage fait à la majesté romaine.

Il s’attache surtout au supplice de Gavius ; et là, par le développement des faits et par l’accumulation des circonstances, il achève de démontrer que Verrès est un monstre indigne de pitié. Il s’abandonne à toute sa véhémence ; ses mouvements deviennent plus violents, et sa passion semble s’accroître à mesure qu’elle s’exhale. Quels effets cette éloquence impétueuse devait-elle produire sur les auditeurs ! Qu’on se rappelle combien le nom de Rome était respecté et révéré chez toutes les nations ; à quel point le peuple romain était jaloux de sa liberté et fier de ses droits.

S’il est possible que les autres crimes du préteur trouvent grâce devant un tribunal corrompu, du moins cet exécrable attentat ne restera pas impuni. Cicéron déclare que l’accusé, que les juges et ceux qui les auront corrompus, seront traduits par lui au tribunal du peuple romain. Son édilité va commencer, et dès qu’il entrera en fonction, il usera du droit que lui donne sa nouvelle magistrature il convoquera l’assemblée, et du haut de la tribune il accusera Verrès et ses complices, et il appellera sur eux la vengeance de la nation entière, intéressée à les punir. S’il n’a pas manqué d’ardeur, de fermeté, de persévérance contre Verrès, dont il n’est l’ennemi que parce que Verrès est l’ennemi des Siciliens, qu’on s’attende à trouver en lui plus de chaleur encore et plus d’énergie contre des hommes dont il aura bravé la haine pour l’intérêt du peuple romain. Il tâchera de mériter de plus en plus la confiance et les suffrages de ces concitoyens, par la fermeté qu’il oppose à l’orgueil et aux mépris des nobles, par le courage avec lequel il déclare une guerre éternelle aux méchants, par son respect pour les lois, et son dévouement pour les intérêts et la gloire du peuple.