Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/325

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IV. Grâce à ces règlements, C. Norbanus, qu’on ne citera pas comme le plus actif et le plus brave des hommes, a joui d’une tranquillité parfaite, pendant que le feu de la guerre embrasait l’Italie. En effet, la Sicile a chez elle tout ce qui peut la garantir de ces fatales explosions : l’union la plus intime règne entre nos commerçants et ceux de cette île ; l’habitude, l’intérêt, les affaires, la conformité des sentiments, tout les rapproche. Dans leur situation présente, les Siciliens trouvent leur avantage personnel dans le repos général : attachés de cœur au gouvernement romain, ils seraient fâchés d’y voir porter atteinte, ou de passer sous d’autres lois. Enfin les ordonnances des préteurs et la vigilance des maîtres s’accordent pour prévenir toute espèce de désordres. Il est donc impossible qu’on voie éclater une révolte dans cette province.

Quoi donc ! n’y a-t-il eu sous la préture de Verrès aucun mouvement, aucun soulèvement d’esclaves en Sicile ? Non, aucun du moins qui soit parvenu à la connaissance du sénat et du peuple romain ; aucun dont il ait informé le gouvernement. Toutefois je soupçonne qu’il y a eu quelque part un commencement de fermentation. Je le conjecture d’après les ordonnances et les arrêtés du préteur. Voyez jusqu’où va ma générosité : moi-même, son accusateur, je vais révéler des faits qu’il cherche, et dont vous n’avez jamais entendu parler. Dans le territoire de Triocala, qui fut autrefois occupé par les révoltés, les esclaves d’un Sicilien nommé Léonidas furent soupçonnés de conspiration. On les dénonça. Fidèle à son devoir, Verrès les fait arrêter et conduire aussitôt à Lilybée. Le maître est assigné ; on instruit le procès ; ils sont condamnés.

V. Ici, vous attendez quelque vol, quelque nouvelle rapine. Et quoi ! partout les mêmes répétitions ? Dans un moment de guerre et d’alarme, songe-t-on à voler ? D’ailleurs, si l’occasion s’en est présentée, Verrès n’en a pas profité. Il pouvait tirer quelque argent de Léonidas, lorsqu’il l’avait assigné devant son tribunal. Il pouvait, et ce n’eût pas été la première fois, composer avec lui pour le dispenser de comparaître. Il pouvait encore se faire payer pour absoudre les esclaves ; mais les voilà condamnés : quel moyen de rien extorquer ? Il faut de toute nécessité qu’ils soient exécutés : les assesseurs de Verrès connaissent l’arrêt ; il est consigné dans les registres publics ; toute la ville en est instruite ; un corps nombreux et respectable de citoyens romains en est témoin. Il n’est plus possible, il faut qu’ils soient conduits au supplice. On les y conduit ; on les attache au poteau.

Il me semble qu’à présent encore vous attendez le dénouement de cette scène. Il est vrai que Verrès ne fit jamais rien sans intérêt. Mais ici qu’a-t-il pu faire ? quel moyen s’offre à la cupidité ? Eh bien ! imaginez la plus révoltante infamie : ce que je vais dire surpassera votre attente. Ces esclaves condamnés comme conspirateurs, ces esclaves livrés à l’exécuteur, attachés au poteau, tout à coup on les délie, sous les yeux d’une foule immense ; on les rend à ce Léonidas leur maître. Que direz-vous, ô le plus insensé des hommes ! sinon une chose que je ne demande pas, dont personne ne peut douter, et que, dans une action aussi honteuse, il serait superflu de de-