Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/345

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que comme rival. La flotte de nos alliés et de nos amis est donc aux ordres du Syracusain Cléomène.

XXXII. Par où commencerai-je mes reproches ou mes plaintes ? Le pouvoir, le titre, l’autorité de lieutenant, de questeur, de préteur, remis aux mains d’un Sicilien ? Ah ! si vos festins et vos femmes occupaient tous vos moments, n’aviez-vous pas des questeurs et des lieutenants ? pourquoi receviez-vous de l’État ce blé si chèrement évalué par votre avarice, ces mulets, ces tentes, et tous ces équipages que le sénat et le peuple romain accordent aux magistrats et à leurs lieutenants ? qu’étaient devenus enfin vos préfets et vos tribuns ? Si nul citoyen romain n’était digne d’un tel emploi, ne trouviez-vous personne dans les cités qui furent de tout temps les amies et les alliées de Rome, dans Ségeste, dans Centorbe, que leurs services, leur fidélité, l’ancienneté de leur alliance, et même une espèce d’affinité, ont associées à la gloire de notre empire ? Grands dieux ! les soldats de ces cités elles-mêmes, leurs vaisseaux et leurs capitaines ont été soumis aux ordres d’un Syracusain ! N’est-ce pas avoir tout à la fois méconnu la dignité de la république, violé les droits de la justice, et trahi ceux de la reconnaissance ? Mon dessein n’est pas d’humilier Syracuse ; je ne veux que rappeler la mémoire des faits anciens. Mais qu’on me cite une seule de nos guerres en Sicile, où nous n’ayons eu les Centorbiens pour alliés, et les Syracusains pour ennemis. Aussi M. Marcellus, qui joignait aux talents du guerrier toutes les vertus du citoyen, Marcellus, qui soumit Syracuse par sa valeur, comme il la conserva par sa clémence, ne permit pas qu’aucun Syracusain habitât dans la partie de la ville qu’on nomme l’Ile. Oui, citoyens, aujourd’hui encore il est défendu à tout Syracusain de résider dans cette partie de la ville. C’est un poste qu’une poignée de soldats peut défendre. Il ne voulut donc pas le confier à des hommes dont la fidélité n’était pas à toute épreuve : d’ailleurs, c’est par ce lieu que les vaisseaux arrivent de la mer. Il ne crut pas devoir laisser la garde de cette barrière importante à ceux qui l’avaient fermée si longtemps à nos armées.

Voyez, Verrès, quel contraste entre vos caprices et la prudence de nos ancêtres, entre les décrets dictés par votre passion et les oracles émanés de leur sagesse ! Ils interdirent aux Syracusains l’accès même du rivage, et vous leur confiez le commandement de la mer ! Ils ne voulurent pas qu’un Syracusain habitât dans le lieu où les vaisseaux peuvent aborder, et vous mettez nos vaisseaux à la merci d’un Syracusain ! Vous donnez une portion de notre empire à ceux qu’ils privèrent d’une partie de leur ville, et les alliés qui nous aidèrent à soumettre Syracuse, vous les avez soumis au commandement des Syracusains !

XXXIII. Cléomène quitte le port ; il montait le vaisseau de Centorbe : c’était une galère à quatre rangs de rames. A la suite marchent les vaisseaux de Ségeste, de Tyndare, d’Herbite, d’Héraclée, d’Apollonie, d’Haluntium : belle flotte en apparence, mais faible en réalité, et, grâce aux congés, dégarnie de soldats et de rameurs. Le vigilant magistrat ne la perdit pas de vue, tout le temps qu’elle mit à côtoyer la salle de ses honteux festins ; invisible depuis plusieurs jours, il daigne paraître un moment aux yeux des matelots. Le préteur du peuple romain, appuyé sur