Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/357

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ches, les tourments de nos alliés, le sang des innocents, la sépulture des morts, le désespoir des familles, ne pussent être désormais pour nos magistrats l’objet d’un trafic abominable. Si je parviens à délivrer les Siciliens de cette crainte, en armant votre justice contre leur oppresseur, je croirai avoir rempli mon devoir et comblé les vœux de la province qui m’a donné sa confiance.

L. Ainsi, Verrès, s’il se rencontre un homme assez intrépide pour essayer de vous justifier sur ce qui concerne la flotte, qu’il évite les lieux communs étrangers à la cause ; qu’il ne dise pas que je vous impute les fautes de la fortune ; que je vous fais un crime du malheur ; que je vous reproche la perte de la flotte, quoique souvent le sort des armes ait trahi la valeur des plus habiles capitaines : je ne vous rends point garant des torts de la fortune. Il n’est pas besoin de nous citer les revers des autres généraux et de recueillir les débris de leurs naufrages. Je dis que les vaisseaux étaient vides ; que les rameurs et les matelots achetaient leurs congés ; que ceux qui sont restés ont vécu de racines sauvages ; qu’un Sicilien a commandé la flotte romaine ; que des peuples, de tout temps nos alliés, ont été soumis aux ordres d’un Syracusain ; que, pendant ce temps même et pendant tous les jours qui l’ont précédé, vous vous enivriez sur le rivage avec des femmes. Voilà ce que je dis et ce que je prouve par des témoins irrécusables.

Est-ce là insulter à votre malheur, vous fermer tout recours sur la fortune, vous objecter ou vous reprocher les accidents de la guerre ? Après tout, le droit d’accuser la fortune suppose l’essai de son inconstance et de ses caprices. Elle n’est pour rien dans votre désastre. C’est dans les combats, et non dans les festins qu’on a coutume de tenter la fortune et les hasards de la guerre. Mais on peut dire que vous vous êtes exposé aux dangers de Vénus, et nullement à ceux de Mars. Enfin, s’il ne faut pas qu’on vous accuse des torts de la fortune, pourquoi des hommes qui n’avaient pas d’autre crime n’ont-ils pas trouvé grâce devant vous ?

Dispensez-vous encore de répondre que je cherche à vous rendre odieux pour avoir employé le supplice établi par nos ancêtres, et pour avoir fait usage de la hache. Mon accusation ne porte point sur le genre du supplice. Je ne prétends pas qu’on ne doive jamais se servir de la hache, et qu’il faille bannir de la discipline militaire la crainte, la sévérité, le châtiment. J’avoue que souvent on a déployé toute la rigueur des lois, non seulement contre des alliés, mais même contre nos citoyens et nos soldats : ainsi faites-nous grâce encore de ce lieu commun.

LI. Ce que je dis, c’est que vous êtes coupable, et que les capitaines ne l’étaient pas ; c’est que vous avez vendu les congés aux soldats et aux rameurs ; et je le prouve, et je le démontre par les dépositions des capitaines échappés à vos fureurs, par celles des députés de Nétum, d’Herbite, d’Amestra, d’Enna, d’Agyre, de Tyndare, qui parlent tous au nom de leurs villes ; en un mot, par l’aveu de votre propre témoin, de votre général, de votre hôte, Cléomène, qui déclare être descendu à Pachynum pour en tirer quelques soldats et les placer sur ses vaisseaux : ce qu’il n’eût pas