Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/360

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personne ne l’accuse et n’intente action contre lui, Verrès commence par exiger qu’il consigne deux mille sesterces qui seront au profit de son licteur, s’il ne se disculpe pas d’avoir dit que le préteur s’enrichit par des vols. Il annonce qu’il nommera pour commissaires des hommes de sa suite. Servilius se récrie, et demande qu’un procès criminel ne lui soit pas intenté devant des juges iniques, sans qu’aucun accusateur se lève contre lui. Pendant qu’il proteste avec force, les six licteurs très vigoureux et très exercés à cet infâme ministère, le saisissent et le frappent à coups redoublés. Bientôt le chef des licteurs, Sestius, dont j’ai déjà parlé plus d’une fois, retourne son faisceau et lui frappe les yeux avec une horrible violence. Le visage tout en sang, il tombe aux pieds de ses bourreaux qui ne cessent de lui déchirer les flancs, afin de lui arracher la promesse de consigner. Après cette exécution barbare, il fut emporté comme mort, et mourut en effet peu de temps après. Notre nouvel Adonis, cet homme charmant et pétri de grâces, fit placer aux dépens de cet infortuné un Cupidon d’argent dans le temple de Vénus. C’était ainsi que le vol acquittait les vœux de la débauche.

LV. Pourquoi rappeler en détail les supplices des autres citoyens romains ? Un seul tableau vous les offrira tous sous un même point de vue. Cette prison qui fut bâtie par le cruel Denys, les carrières de Syracuse devinrent, sous Verrès, le domicile des citoyens romains. Quiconque avait le malheur de l’offenser ou de lui déplaire, était aussitôt jeté dans les carrières. Vous frémissez, citoyens, et je vous ai déjà vu frémir, lorsque, dans la première action, les témoins ont fait entendre ces faits. Vous pensez qu’il ne suffit pas que les droits de la liberté soient respectés à Rome, où nous avons pour les maintenir les tribuns et les autres magistrats, les tribunaux qui entourent le forum, l’autorité du sénat, la présence et la majesté du peuple romain ; mais que dans tous les lieux, chez tous les peuples, entreprendre sur les droits d’un citoyen, est un attentat qui intéresse la liberté et la dignité de tous les Romains.

Eh quoi ! Verrès, dans cette prison destinée aux étrangers, aux malfaiteurs, aux scélérats, aux brigands, aux ennemis de la patrie, vous avez osé renfermer un si grand nombre de citoyens romains ? Mais les tribunaux, mais ce concours immense d’un peuple irrité, qui dans ce moment lance sur vous des regards d’indignation et de fureur, votre souvenir ne vous en a donc jamais retracé l’image ? La majesté du peuple romain que vous outragiez en son absence, le spectacle effrayant de cette foule qui vous environne, ne se sont donc jamais offerts à votre pensée ? Vous comptiez donc ne reparaître jamais aux yeux de vos concitoyens, ne jamais rentrer dans le forum, ne retomber jamais sous le pouvoir des lois et des tribunaux ?

LVI. Mais quelle manie le poussait à la cruauté ? quel motif lui faisait multiplier les crimes ? Citoyens, c’était de sa part un nouveau système de brigandage. Les poètes nous ont parlé de nations barbares qui s’emparaient de quelques golfes, ou qui se postaient sur des promontoires et des rochers escarpés, afin de massacrer les navigateurs jetés sur leurs côtes. Ainsi qu’eux, Verrès, de toutes les parties de la Sicile, étendait ses