Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/368

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la vue de l’Italie, à l’entrée de la Sicile, sur le passage de tous ceux qui navigueraient dans le détroit.

LXVII. Si je racontais ces attentats, non à des citoyens romains, à des amis de notre république, à des nations à qui le nom romain fût connu, non même à des hommes, mais aux monstres des forêts ; et, pour dire encore plus, si dans le fond d’un désert mes plaintes et mes douleurs frappaient les pierres et les rochers, ces êtres muets et inanimés s’indigneraient de tant d’atrocités. Lorsque je parle devant des sénateurs romains, organes de la justice et garants de nos droits, puis-je douter que lui seul, parmi les citoyens, ne paraisse digne de cette croix sur laquelle on verrait avec horreur tout autre que lui ? Il y a quelques instants, au récit des supplices des capitaines et de leur mort indigne et déplorable, nous ne pouvions retenir nos larmes ; et certes, l’innocence et le malheur de nos alliés nous pénétraient d’une juste douleur. Que devons-nous faire à présent qu’il s’agit de notre propre sang ? car ce sang est le nôtre : l’intérêt commun et la justice nous disent que nous avons tous été frappés dans la personne de Gavius. Oui, tous les Romains, présents, absents, en quelque lieu qu’ils soient, appellent votre sévérité, implorent votre justice, réclament votre secours ; ils pensent que leurs droits, leurs privilèges, leur existence, leur liberté tout entière, dépendent du jugement que vous allez prononcer.

Je n’ai pas trahi leur cause : cependant, si le jugement trompe mon espérance, je ferai pour eux plus qu’ils ne demandent peut-être. Oui, si, ce que je ne crains pas, et ce qui me semble impossible, si quelque pouvoir arrache le coupable à votre justice, je pleurerai le sort des Siciliens, je m’affligerai avec eux de la perte de leur cause ; mais puisque le peuple romain m’a donné le droit de monter à la tribune, il m’y verra paraître avant les calendes de février. Là je parlerai, là je remettrai entre ses mains la vengeance de ses droits et de sa liberté. A ne considérer que l’intérêt de ma gloire et de mon avancement, il me sera peut-être avantageux que Verrès échappe à ce tribunal, pour retomber sous le jugement du peuple romain. Cette cause est honorable, elle est facile pour moi, elle intéresse le peuple entier. En un mot, si l’on me suppose l’intention, qui ne fut jamais la mienne, de m’illustrer par la perte de cet homme, son impunité, qui ne pourrait être que le crime de plusieurs, me donnera l’occasion de m’illustrer par la perte d’un grand nombre de prévaricateurs.

LXVIII. Mais votre intérêt et celui de la république me sont trop chers, pour que je désire qu’un tribunal auguste soit souillé d’une tache aussi honteuse : non, je ne puis vouloir que des juges approuvés et choisis par moi se déshonorent en sauvant ce grand coupable, et se montrent dans Rome chargés de tant d’opprobre et d’infamie. Ainsi donc, Hortensius, s’il m’est permis de vous donner quelque conseil, prenez garde à toutes vos démarches. Considérez avec attention jusqu’où vous pouvez vous avancer, quel homme vous allez défendre, et de quelle manière vous le défendrez. Je ne prétends pas mettre des entraves à votre talent ; vous pouvez me combattre avec