Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ême opposes la moindre résistance. Mais si vous pensez que pour la violence il faut qu’il y ait meurtre, blessure, sang répandu, vous déciderez qu’on doit être plus attaché à ses biens qu’à sa vie.

XVII. C’est vous-même que je prends pour juge, Ébutius : répondez-moi, si vous le jugez à propos. Cécina n’a-t-il pas voulu ou n’a-t-il pas pu approcher de la terre en litige ? Dire que vous vous êtes opposé à lui, que vous l’avez repoussé, c’est convenir assurément qu’il voulait en approcher. Prétendrez-vous donc que la violence n’ait pas été un obstacle pour celui à qui une troupe de gens armés n’a pas permis d’approcher, quoiqu’il le désirât, quoiqu’il fût venu dans ce dessein ? S’il n’a pu exécuter son projet, il faut, sans doute, qu’une violence se soit opposée à ses désirs : ou bien dites pourquoi, voulant approcher, il n’a point approché. Vous ne pouvez disconvenir qu’il y ait eu violence : mais on demande comment celui qui n’a point approché d’un lieu en a été chassé. Pour être chassé d’un lieu, il faut nécessairement être déplacé et repoussé : or, comment cela peut-il arriver quand on n’a pas même été dans le lieu d’où l’on dit qu’on a été chassé ? Mais si on y avait été, et que, saisi de crainte en voyant des gens armés, on eût pris la fuite, on l’eût abandonné, diriez-vous qu’on a été chassé ? oui, sans doute. Mais vous qui jugez des contestations judiciaires avec une subtilité si minutieuse, plutôt par les mots que d’après la raison, qui réduisez le droit à de vaines paroles, sans songer à l’intérêt de tous, pourrez-vous dire que celui-là a été chassé que l’on n’a pas touché ? Direz-vous qu’il a été poussé dehors ? car c’était le mot dont les préteurs se servaient anciennement dans l’ordonnance dont nous parlons. Mais quoi ! peut-on pousser quelqu’un dehors, si on ne le touche pas ? En voulant nous attacher au mot, ne faut-il point, de toute nécessité, convenir que celui-là seul a été poussé dehors, sur qui l’on a porté la main ? Non, si nous voulons exprimer la chose par le mot, on ne peut dire que quelqu’un soit poussé hors d’un lieu, s’il n’en est déplacé, s’il n’en est rejeté avec violence et par l’effort de la main. Le mot employé dans l’ordonnance signifie proprement jeté de haut en bas, précipité. Or, peut-on dire qu’un homme ait été précipité, s’il n’a été jeté d’un lieu élevé dans un lieu plus bas ? On peut dire qu’il a été chassé, repoussé, mis en fuite ; mais on ne dira jamais de celui que l’on n’a pas touché, qui même n’a pas été chassé d’un lieu plat et uni, on ne dira jamais qu’il ait été précipité. Quoi donc ! croyons-nous que l’ordonnance n’a été rédigée que pour ceux qui ont été jetés de lieux élevés ? car il n’y a que ceux-là que nous puissions dire proprement avoir été précipités.

XVIII. Lorsque le vœu, l’intention et l’esprit de l’ordonnance prétorienne sont bien connus, ne croirons-nous pas que c’est l’excès de l’impudence et de la folie de chercher à tromper par des mots, de négliger le fond, de trahir même la cause et l’intérêt de tous ? Doutera-t-on qu’il n’y ait pas une assez grande abondance de mots, non seulement dans notre langue que l’on dit être pauvre, mais dans la langue la plus riche, pour que chaque chose ait son mot propre et déterminé ? D’ailleurs est-il besoin de mots quand la chose pour laquelle les mots sont trouvés, est suffisamment entendue ? Est-il une loi, un