Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/437

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de mots son importance et ses difficultés ; car si l’on convient qu’elle est nécessaire, inévitable, elle n’est pas non plus tellement grave qu’il faille en être épouvanté. Il s’agit, avant tout, de prendre garde que ce qui exige de vous les mesures les plus efficaces, ne vous paraisse à dédaigner.

Et, afin que tout le monde connaisse mon empressement à louer Lucullus autant que mérite de l’être un homme plein de courage et de prudence, un grand général, je dirai qu’à son arrivée Mithridate avait mis sur pied des armées nombreuses, abondamment pourvues et richement équipées ; que ce prince, à la tête de la plus grande partie de ces forces, assiégeait Cyzique, une des plus florissantes cités de l’Asie et des plus attachées au peuple romain ; que cette ville, étroitement investie de toutes parts, n’échappa aux dangers immenses d’une prise d’assaut que grâce à la valeur de Lucullus, à son activité et à son intelligence ; que ce même Lucullus vainquit et submergea la flotte nombreuse et bien montée, conduite par des lieutenants de Sertorius, lesquels voguaient vers l’Italie emportés par l’ardeur de la vengeance ; qu’il détruisit, en des combats divers, beaucoup d’autres armées ennemies ; qu’il ouvrit à nos légions le royaume de Pont, entièrement fermé jusqu’alors au peuple romain ; que Sinope et Amisus, où Mithridate possédait de magnifiques et somptueux palais, et plusieurs autres villes du Pont et de la Cappadoce, tombèrent en son pouvoir dès qu’il vint et parut devant elles ; que Mithridate, dépouillé des États de son père et de ses aïeux, s’enfuit chez des nations et des rois étrangers, implorant leurs humiliants secours ; enfin que tant d’exploits ont été consommés sans que vos alliés en aient souffert, sans que vos revenus en aient été entamés. C’est là, je pense, assez de sujets d’éloge pour Lucullus ; et sans doute il vous est démontré, Romains, que de tous ceux qui sont contraires à la loi, et à la cause en délibération, nul ici n’a parlé aussi honorablement de Lucullus.

IX. On demandera peut-être comment, après tant de succès, la guerre qui nous reste à soutenir serait dangereuse. Apprenez-le donc, Romains, car cette demande est fondée. D’abord, Mithridate s’enfuit de ses États, comme autrefois, dit-on, s’enfuit de ce même pays la fameuse Médée. Elle dispersa dans sa fuite et sur les chemins par où son père la poursuivait, les membres de son frère, afin que la douleur paternelle, et le soin de recueillir ces tristes débris, retardassent la poursuite du vieillard. Ainsi fuyait Mithridate, inondant le Pont d’une immense quantité d’or et d’argent, et semant sur sa route toutes sortes d’objets les plus précieux qu’il tenait de ses ancêtres, et qu’il avait, pendant la guerre précédente, accumulés dans son royaume après en avoir dépouillé l’Asie ; et tandis que nos soldats recueillaient trop avidement ces richesses, Mithridate leur échappait. Ainsi la douleur retardait le père de Médée, et la joie ralentissait leur course victorieuse. Cependant Tigrane, roi d’Arménie, reçut Mithridate tremblant et fugitif ; il calma son désespoir, releva son âme abattue, répara ses désastres, et, lorsque Lucullus vint en Arménie avec son armée, il trouva soulevées contre lui plus de nations encore qu’il n’en avait vaincu. Car on avait semé l’alarme parmi ces peuples, que nous n’avions jamais songé à attaquer ni